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piré, mais parlez-en avec négligence comme d'une entreprise de longue haleine et qui n'est pas prête à mettre à fin, ni près de là, et cependant allez votre train. Tout cela se peut faire sans altérer la vérité; et il n'est pas toujours défendu de la taire quand c'est pour la mieux honorer.

M. Vernet m'a enfin répondu, et je suis tombé des nues à la lecture de sa lettre. Il ne me demande qu'une rétractation authentique, aussi publique, prétend-il, que l'a été la doctrine qu'il veut que je rétracte. Nous sommes loin de compte assurément. Mon Dieu! que les ministres se conduisent étourdiment dans cette affaire ! Le décret du parlement de Paris leur a fait à tous tourner la tête. Ils avoient si beau jeu pour pousser toujours les prêtres en avant et se tirer de côté ! mais ils veulent absolument faire cause commune avec eux. Qu'ils fassent donc ; ils me mettent fort à mon aise: Tros Rutulusve fuat, j'aurai moins à discerner où portent mes coups; et je vous réponds que tout rogues qu'ils sont, je suis fort trompé s'ils ne les scntent. Quand on veut s'ériger en juge du christianisme il faut le connoître mieux que ne font ces messieurs; et je suis étonné qu'on ne se soit pas encore avisé de leur apprendre que leur tribunal n'est pas si suprême qu'un chrétien n'en puisse appeler. Il me semble que je vois J. J. Rousseau élevant une statue à son pasteur Montmollin sur la

tête des autres ministres, et le vertueux Moultou couronnant cette statue de ses propres lauriers. Toutefois je n'ai point encore pris la plume; je veux même voir un peu mieux la suite de tout ceci avant de la prendre. Peut-être l'effet de cet écrit m'en dispensera-t-il. Si la chaleur que l'indignation commence à me rendre s'exhale sur le papier, je ne laisserai du moins rien paroître avant que d'en conférer avec vous.

J'avois encore je ne sais combien de choses à vous dire ; mais voilà mes chers hôtes prêts à partir : ils ont une longue traite à faire, ils vont à pied, il ne faut pas les retenir. Adieu, je vous embrasse tendrement.

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J'ai eu l'ami Deluc, comme vous me l'aviez annoncé. Il m'est arrivé malade; je l'ai soigné de mon mieux, et il est reparti bien rétabli. C'est un excellent ami, un homme plein de sens, de droiture et de vertu; c'est le plus honnête et le plus ennuyeux des hommes. J'ai de l'amitié, de l'estime,

et même du respect pour lui, mais je redouterai toujours de le voir. Cependant je ne l'ai pas trouvé tout-à-fait si assommant qu'à Genève : en revanche, il m'a laissé ses deux livres1; j'ai même eu la foiblesse de promettre de les lire, et, de plus, j'ai commencé. Bon Dieu! quelle tâche! Moi qui ne dors point, j'ai de l'opium au moins pour deux ans. Il voudroit bien me rapprocher de vos messieurs, et moi aussi je le voudrois de tout mon cœur: mais je vois clairement que ces gens-là, malintentionnés comme ils sont, voudront me remettre sous la férule, et s'ils n'ont pas tout-à-fait le front de demander des rétractations, de peur que je ne les envoie promener, ils voudront des éclaircissements qui cassent les vitres, et qu'assurément je ne donnerai qu'autant que je le pourrai dans mes principes; car très certainement ils ne me feront point dire ce que je ne pense pas. D'ailleurs n'est-il pas plaisant que ce soit à moi de faire les frais de la réparation des affronts que j'ai reçus? On commence par brûler le livre, et l'on demande des éclaircissements après. En un mot, ces messieurs, que je croyois raisonnables, sont cafards comme les autres, et, comme eux, soutiennent par la force une

François Deluc, mort en 1780, est père des deux célèbres géologues de ce nom. Les deux seuls ouvrages qu'on connoisse de lui sont: Lettre contre la Fable des Abeilles, in-12, et Observations sur les écrits de quelques savants incrédules. Genève, 1762, in-8°.

doctrine qu'ils ne croient pas. Je prévois que tôt ou tard il faudra rompre : ce n'est pas la peine de renouer. Quand je vous verrai, nous causerons à fond de tout cela.

Vous avez très bien vu l'état de la question sur le dernier chapitre du Contrat social, et la critique de Roustan porte à faux à cet égard ; mais comme cela n'empêche pas d'ailleurs que son ouvrage ne soit bon, je n'ai pas dû l'engager à jeter au feu un écrit dans lequel il me réfute; et c'est pourtant ce qu'il auroit dû faire si je lui avois fait voir combien il s'est trompé. Je trouve dans cet écrit un zéle pour la liberté qui me le fait aimer. Si les coups portés aux tyrans doivent passer par ma poitrine, qu'on la perce sans scrupule, je la livrerai volontiers.

Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de l'aimable dame qui daigne s'intéresser pour moi. Pour les lacets, l'usage en est consacré, et je n'en suis plus le maître. Il faut, pour en obtenir un, qu'elle ait la bonté de redevenir fille, de se remarier de nouveau, et de s'engager à nourrir de son lait son premier enfant. Pour vous, vous avez des filles : je déposerai dans vos mains ceux qui leur sont destinés. Adieu, cher ami.

LETTRE CCCLIII.

A M. DE MALESHERBES.

Motiers-Travers, le 26 octobre 1762.

Permettez, monsieur, qu'un homme tant de fois honoré de vos graces, mais qui ne vous en demanda jamais que de justes et d'honnêtes, vous en demande encore une aujourd'hui. L'hiver dernier, je vous écrivis quatre lettres consécutives sur mon caractère et l'histoire de mon ame, dont j'espérois que le calme ne finiroit plus; je souhaiterois extrêmement d'avoir une copie de ces quatre lettres, et je crois que le sentiment qui les a dictées mérite cette complaisance de votre part. Je prends donc la liberté de vous demander cette copie; ou si vous aimez mieux m'envoyer les originaux, je ne prendrai que le temps de les transcrire, et vous les renverrai, si vous le desirez, dans peu de jours. Je serai, monsieur, d'autant plus sensible à cette grace, qu'elle m'apprendra que mes malheurs n'ont point altéré votre estime et vos bontés pour moi, et que vous ne jugez point les hommes sur leur destinée.

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