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et touché de leurs bontés, je me ferai toujours un devoir et un plaisir de leur marquer mon attachement et ma reconnoissance; mais l'accueil qu'ils m'ont fait n'a rien de commun avec le gouvernement neuchâtelois, qui m'en eût fait un bien différent s'il en eût été le maître. Je dois dire encore que, si la mauvaise volonté du corps des ministres n'est pas douteuse, j'ai beaucoup à me louer en particulier de celui dont j'habite la paroisse. Il me vint voir à mon arrivée, il me fit mille offres de services qui n'étoient point vaines, comme il me l'a prouvé dans une occasion essentielle où il s'est exposé à la mauvaise humeur de plus d'un de ses confrères pour s'être montré vrai pasteur envers moi. Je m'attendois d'autant moins de sa part à cette justice, qu'il avoit joué dans les précédentes brouilleries un rôle qui n'annonçoit pas un ministre tolérant. C'est au surplus un homme assez gai dans la société, qui ne manque pas d'esprit, qui fait quelquefois d'assez bons sermons, et souvent de fort bons contes.

Je m'aperçois que cette lettre est un livre, et je n'en suis encore qu'à la moitié de ma relation. Je vais, M. le maréchal, vous laisser reprendre haleine, et remettre le second tome à une autre fois'.

** Pour apprécier les divers jugements portés dans cette lettre, le lecteur voudra bien faire attention à l'époque de sa date et au lieu qu'habitoit l'auteur. (Note des éditeurs de Genève.)

LETTRE CCCLXXVII.

A MADAME LATOUR.

A Motiers, le 27 janvier 1763.

Je reçois presque en même temps, madame, vos étrennes et votre portrait, deux présents qui me sont précieux; l'un parcequ'il vous représente, et l'autre parcequ'il vient de vous. Il semble que vous avez prévu le besoin que j'aurois de l'almanach, pour contenir l'effet que feroit sur moi la description de votre personne, et pour m'avertir honnêtement qu'un homme né le 4 juillet 1712 ne doit pas, le 27 janvier 1763, prendre un inté– rêt si curieux à certains articles, sous peine d'être un vieux fou. Malheureusement le poison me paroît plus fort que le remède, et votre lettre est plus propre à me faire oublier mon âge que votre almanach à m'en faire souvenir. Il n'eût pas fallu d'autre magie à Médée pour rajeunir le vieux Éson; et si l'Aurore étoit faite comme vous, Titon décrépit pouvoit être encore malade, que ses ans et ses maux devoient disparoître en la voyant. Pour moi, si loin de vous, je ne gagne à tout cela que des regrets et du ridicule; un cœur rajeuni

n'est qu'un nouveau mal avec tant d'autres, et rien n'est plus sot qu'un barbon de vingt ans. Aussi je ne voudrois pas, pour tout au monde, être exposé désormais à voir ce joli visage d'un ovale parfait, et qui n'est pas la partie la moins blanche de votre personne; j'aurois toujours peur que ces petites mouches couleur de rose ne devinssent pour moi transparentes, et que, pour mieux apprécier le teint du visage, quelque frileuse que vous puissiez être, mon esprit indiscret n'allât, à travers mille voiles, chercher des pièces de comparaison.

Come per acqua o per cristallo intero
Trapassa il raggio, e no'l divide o parte;
Per entro il chiuso manto osa il pensiero
Si penetrar nella vietata parte.

TASSO, GER. C. IV, 32.

Mais, madame, laissons un peu votre teint et votre figure, qu'il n'appartient pas à une imagination de cinquante ans de profaner, et parlons plutôt de cette aimable physionomie, faite pour vous donner des amis de tout âge, et qui promet un cœur propre à les conserver. Il ne tiendra pas à moi qu'elle n'achève ce que vos lettres ont si bien commencé, et que je n'aie pas pour vous, le reste de ma vie, un attachement digne d'un caractère aussi charmant. Combien il va m'être agréable de me faire dire par une aussi jolie bouche tout ce

que vous m'écrirez d'obligeant, et de lire dans des yeux d'un bleu foncé, armés d'une paupière noire, l'amitié que vous me témoignez! Mais cette même amitié m'impose des devoirs que je veux remplir; et si mon âge rend les fadeurs ridicules, il fait excuser la sincérité. Je vous pardonne bien d'idolâtrer un peu votre chevelure, et je partage même d'ici cette idolâtrie; mais l'approbation que je puis donner à votre manière de vous coiffer dépend d'une question qu'il ne faut jamais faire aux femmes, et que je vous ferai pourtant. Madame, quel âge avez-vous?

Puisque vous avez lu le chiffon qui accompagnoit le lacet dont vous me parlez, vous savez, madame, à quelle occasion il a été envoyé, et sous quelles conditions on en peut obtenir un sem-> blable. Ayez la bonté de redevenir fille, de vous marier tout de nouveau, de vous engager à nourrir vous-même votre premier enfant, et vous aurez le plus beau lacet que je puisse faire. Je me suis engagé à n'en jamais donner qu'à ce prix : je ne puis violer ma promesse.

Je suis fort sensible à l'intérêt que M. du Terreaux veut bien prendre à ma santé, et plus encore au soin de la main qui m'a fait passer sa recette; mais ayant depuis long-temps abandonné ma vie et mon corps à la seule nature, je ne veux point empiéter sur elle, ni me mêler de ce que je

ne sais

pas. J'ai appris à souffrir, madame; cet art dispense d'apprendre à guérir, et n'en a pas les inconvénients. Toutefois, s'il ne tient qu'à quelques verres d'eau pour vous complaire, je veux bien les boire dans la saison, non pour ma santé, mais à la vôtre; je voudrois faire pour vous des choses plus difficiles, pourvu qu'elles eussent un autre objet.

LETTRE CCCLXXVIII.

A M. LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG.

Motiers, le 28 janvier 1763.

Il faut, M. le maréchal, avoir du courage pour décrire en cette saison le lieu que j'habite. Des cascades, des glaces, des rochers nus, des sapins noirs couverts de neige, sont les objets dont je suis entouré; et à l'image de l'hiver le pays ajoutant l'aspect de l'aridité ne promet, à le voir, qu'une description fort triste. Aussi a-t-il l'air assez nu en toute saison, mais il est presque effrayant dans celle-ci. Il faut donc vous le représenter comme je l'ai trouvé en y arrivant, et non comme je le vois aujourd'hui, sans quoi l'intérêt

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