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THE ALBUM.

No. IV.

LETTRE DE M. E. JOUY, MEMBRE DE L'ACADEMIE FRANÇAISE, A L'EDITEUR DE L'ALBUM, OUVRAGE PERIODIQUE ANGLAIS.

MONSIEUR,

Paris, le 21 Novembre, 1822.

Vous avez rendu compte dans votre intéressant ouvrage de ma tragédie de Sylla, avec une liberalité de critique, avec une abnégation de préjugés nationaux, qui honorent votre talent et votre caractère, et pour lesquelles je vous prie d'agréer mes remerçimens.

Toutefois, ce serait mal répondre à la bienveillance avec laquelle vous jugez mes ouvrages, et à la manière aimable et franche dont vous les critiquez, que de ne point avouer hautement qu'en plusieurs points vos opinions littéraires sont absolument opposées aux miennes.

J'écarte les préjugés dont la naissance, l'éducation, les habitudes, la position sociale, entourent presque tous les hommes. Français, je suis loin de nourrir "pour l'Angleterre et pour les Anglais" cette antipathie aveugle et illiberale dont vous m'accusez avec un peu d'amertume. Une marche usurpatrice dans les actes de votre gouvernement, une perfidie constante dans la conduite de votre cabinet par rapport

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à l'Europe, une sombre concentration en soi-même, un mépris plus que Romain pour le reste du monde, le souvenir de nos derniers infortunes auxquelles votre ministère a si cruellement contribué; voila, Monsieur, (je le dis avec franchise) ce qui m'afflige comme philosophe, ce qui me revolte comme ami de l'humanité, ce qui m'indigne comme citoyen de la France.

Mais c'est chez vous, Monsieur, que sont nés Bacon, l'Aristote moderne; le sage Locke; l'illustre Pope; Hume, qui a porté le premier parmi vous la philosophie dans l'histoire; Shakspeare, qui a précédé notre grand Corneille; Burke, Fielding, Robertson, et une foule de hautes intelligences, de génies laborieux et créateurs. Votre patrie est celles des Newton et des Sidney, des Russell, des Thomas More et des Hampden, des Fox et des Sheridan; je ne confonde pas les œuvres de génie avec les méprises de la politique, ni le caractère des individus avec le calcul des intérêts sociaux ; ni les crimes de quelques hommes avec la masse des idées, des sentimens et des mœurs de votre nation.

Tout en avouant que des trésors inconnus à la plupart des littérateurs étrangers sont enfouis dans votre littérature; tout en convenant des nombreuses beautés de vos écrivains dramatiques, je defendrai sincèrement le systême théâtral adopté en France.

Je suis persuadé que parmi nous les combinaisons de l'art dramatique sont de nature à mieux développer les caractères et les passions, à procurer des émotions sinon plus vives, du moins plus soutenues; en un mot à plaire plus généralement.

L'effet d'une seule action, resserrée dans un tems, dans un lieu limités, d'un petit nombre de personnages principaux agissans dans un intérêt unique, d'une machine théâtrale à la fois forte et simple, dont les ressorts comprimés acquiérent par cela même plus d'énergie, et dont le levier principal repose tout entier sur le cœur humain; cet effet, dis-je, doit être

nécessairement plus profond et plus infaillible que celui qu'on essayera de produire par une variété confuse d'incidents et de caractères jettés au hazard sur la scène, comme ils le sont sur le théâtre du monde par la destinée.

La multitude des caractères distrait; la multitude des évènemens fatigue; les passions entassées se nuisent entr'elles, et ne peuvent trouver leur developpement complet. Comment approfondir un sentiment? comment completter un caractère? comment peindre une passion dans ses écarts, ses transports, ses retours, ses sophismes, ses fureurs, dans toutes ses inconséquences, dans toutes ses phases, si par la simplicité du plan et de l'intrigue vous ne laissez dans votre drame un champ libre à son fougueux essor?

C'est cette place que je cherche en vain dans votre systême dramatique. Je ne nie point que votre Otway ne soit pathétique et naturel; j'admire plus que personne en France les grandes conceptions de Shakspeare; mais selon moi il manque à ces beautés ce qui manque à votre St. Paul, une place. Au théâtre, comme en architecture, un chef-d'œuvre perd son prix si l'ordre et la régularité n'ont présidé à la disposition des objets qui l'entourent. Vous connaissez la précepte d'Horace;

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Quæque locum teneant sortita decenter;" non seulement c'est la règle d'Horace, mais c'est la connue loi dans tous les arts.

N'en concluez pas, je vous prie, que je veuille repousser les innovations dont le génie pourrait encore enrichir notre scène. Consacrée a la peinture des passions, elle a élevé d'immortelles statues à l'amour maternel dans Mérope; au combat de l'amour et du devoir dans le Cid; au fanatisme religieux dans Mahomet; à l'amour dans Zaïre et dans Phédre; mais beaucoup plus occupé des nuances et des luttes de sentimens que d'une parfaite vérité de mœurs et de caractères, peut-être a-t-elle laissé à des mains hardies, sinon

des champs nouveaux, du moins des sillons parallèles à cultiver avec succès.

J'ai essayé dans Sylla, en me soumettant à la régularité du plan, et à toute la sévérité des régles posées par les grands maîtres, de tracer correctement le portrait de cette créature gigantesque. En jettant dans la forme convenue de nos ouvrages dramatiques un grand caractère tout entier, sans blesser les lois que je regarde comme les sauve-gardes de notre littérature, j'ai voulu tenter un nouveau genre de tragédie sans sortir des limites invariables que la nature et la raison ont posées.

J'ai signalé la comédie de caractère, portée a sa perfection, comme le chef-d'œuvre de l'esprit humain; peut-être la tragédie de caractère, telle que je la conçois, est elle d'une execution plus difficile encore. Vous voyez, Monsieur, combien je suis loin d'accepter le ridicule d'avoir voulu offrir un modèle d'une tragédie de ce genre: l'homme qui marche une toise à la main donne lui-même sa mesure, et ne peut être soupçonné d'avoir l'intention d'en imposer par sa taille.

Il est d'autres points sur lesquels il me serait trop facile de vous, combattre. Vous opposez au caractère de Sylla tel que je l'ai tracé, le caractère de ce Dictateur tiré "de la Grandeur et de la Décadence des Romains," et vous en concluez que je n'ai point emprunté à Montesquieu, comme je l'affirme dans mon discours préliminaire, les traits principaux de ce grand caractère historique. Vous oubliez, Monsieur, que le jugement de l'auteur de l'Esprit des Loix sur lequel je m'appuie, se trouve, non dans l'histoire de la Grandeur et de la Décadence, mais dans le Dialogue d'Eucrate, chef-d'œuvre de cet immortel écrivain, dans le quel Sylla est représenté précisément sous les couleurs dont je l'ai peint sur la scène.

Quant au desir que vous témoignez de voir nos tragédies modernes écrites en vers blancs, ou même en prose poëtique, cette proposition fut faite une première fois par l'ingénieux

Lamothe, une seconde fois par Sedaine, et n'obtint parmi nous aucune attention sérieuse: on se contenta d'appliquer à ces deux écrivains la fable du Rénard auquel on a coupé la queue.

Si l'art dramatique n'avait sa langue particulière, harmonieuse, régulière; si le premier écolier pouvait coudre dans un dialogue vulgaire et facile les souvenirs de ses études; si la mélodie du langage, la concision du vers, la difficulté de son mécanisme, ne forçait le poète à épurer son style, à concentrer ses idées, à polir, à terminer ses productions, l'art des Corneille et des Voltaire ne serait bientôt plus parmi nous que ce qu'il est partout ailleurs, un chaos mélodramatique, où l'on pourrait trouver de belles scènes, d'admirables situ ations, mais où l'on chercherait en vain une bonne tragédie.

Si je ne craignais de me livrer à une dissertation d'un intérêt trop peu général, j'essayerais, Monsieur, de vous prouver que notre vers alexandrin, sur la monotonie duquel vous vous récriez, n'est pas seulement, après l'hexamêtre Latin, le plus harmonieux qui existe dans les divers systêmes de poësie, mais que la succession obligées des rimes mascu lines et féminines, et l'art, aujourd'hui si bien connu, d'en sauver, ou d'en déplacer adroitement la césure, lui laisse toute la liberté du vers blanc, sans le priver de cette noblesse, et de cet accent musical qui en font le charme particulier.

Les observations que j'ai l'honneur de vous présenter sont exemptes de tout préjugé, de toute antipathie nationale : l'amour de l'art, le sentiment du beau, sont les seuls guides aux quels je m'abandonne.

Vos poëtes observent la nature; leur imagination est vaste, et sait, comme dit l'objet de votre plus vive admiration,

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Les ressorts sécrets de l'âme humaine, la peinture des mœurs leur sont connus; le choix seul me parait leur manquer. Si le génie est l'âme des productions de l'esprit, c'est

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