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et taciturne de Célie offre une opposition piquante avec la loquacité de Rosalinde.

Célie, plus tranquille, cède plutôt à Rosalinde qu'elle n'est éclipsée par elle. Elle a autant de douceur, de tendresse, d'intelligence que sa cousine. La tentative faite pour exciter dans son esprit de la jalousie contre son amie la plus chère ne peut éveiller dans son cœur généreux d'autres sentiments qu'un attachement et une sympathie plus vive pour Rosalinde. Caractère enjoué, tendresse naturelle, affection ardente, tout annonce dans celle-ci la violence de l'amour. La coquetterie qu'elle emploie avec son amant, dans le double role qu'elle a à soutenir, est conduite avec une adresse infinie. Rien de plus gracieux que son sourire dans toute sa conversation avec Orlando. Le sentiment d'intérêt et d'admiration, excité d'abord pour Célie, se soutient dans toute la pièce. Nous l'admirons comme une personne qui s'est rendue digne de notre amour; son silence même en dit plus quelquefois que tous les prestiges de l'éloquence.

Quant à Jacques, c'est une des plus fortes créations de Shakspeare. Les injustices du monde ont trop ulcéré cette nature mélancolique; aussi la passion d'Orlando pour Rosalinde avilirait à ses yeux la passion qu'il a pour la vérité. C'est pour elle qu'il laisse le duc, dès que celui-ci est rétabli dans sa souveraineté, pour se joindre à son frère redevenu ermite. C'est le prince des philosophes oisifs. C'est le seul caractère de ce drame qui soit purement contemplatif. Son unique occupation est de distraire son esprit; étranger aux besoins de la vie, ou aux soins de la fortune, sa scule passion c'est de méditer; il n'attache de prix qu'à ce qui peut nourrir ses réflexions, entretenir sa mélancolie. Quelle heureuse rencontre que celle de ce fou philosophe qui moralise sur le temps! Quel contraste entre le ton déterminé du sceptique Touchstone et le ton élevé d'enthousiasme, la résignation si noble et si philosophique du duc et de ses compagnons d'exil, lorsqu'ils font le tableau du calme et de la solitude de la vie champêtre.

Attendrir le cœur en lui présentant les images et les exemples des affections généreuses, démontrer combien la souffrance sert à élever l'âme, combien il peut exister de motifs d'espoir pour ceux qui ont cessé d'en avoir, la consolation que peuvent trouver les personnes auxquelles un monde dur et impitoyable

a inspiré le mépris d'elles-mêmes et d'autrui, enfin opposer une barrière à l'égoïsme froid, desséchant et railleur, ainsi qu'à cet esprit mesquin qui veut réduire les objets les plus sacrés au niveau de ses petites exigences, tel est le point de vue philosophique de ces ravissantes créations de Shakspeare. Les caractères les plus appropriés à un pareil but ne sont pas ordinairement les caractères empruntés à l'histoire, que l'écrivain salarié, ou à préjugés, esquisse d'après ses passions ou ses opinions; ce sont au contraire des caractères dont l'histoire n'a jamais parlé, que l'on trouve décrits d'une manière si sublime dans les œuvres du tragique anglais.

Là, l'histoire se marie admirablement à la vie réelle; le poëte dévoile jusqu'aux ressorts les plus intimes du cœur humain.

Shakspeare a mis dans la bouche de Célie la partie la plus frappante et la plus animée du dialogue, surtout cette description achevée de l'amitié des deux cousines, qui ont conservé toute l'élégance des manières des cours sous leur costume emprunté de bergères. Lorsque le père de Célie accuse Rosalinde de trahison, Célie s'écrie: « Si Rosalinde est coupable, >> je le suis aussi; nous avons partagé la même couche, la même >> nourriture; notre éducation, nos plaisirs, nos jeux, tout a été >> commun, et, comme les cygnes de Junon, le même lien nous >> unit et nous rend inséparables. » Que l'on aime à voir la charmante Célie avec sa houlette couverte de guirlandes ! Mais elles ne sont pas les seules habitantes de cette solitude. Auprès de nos bergères élégantes, Shakspeare a placé une bergère véritable, aussi coquette dans sa position que Rosalinde dans la sienne. C'est Phébé, franche coquette, qui raille son amant Silvius et rit de la gaucherie de Rosalinde sous son costume de page. Le contraste entre les manières franches et aisées des deux princesses déguisées et les airs dédaigneux des véritables bergères produit un effet très-amusant. La description que Phébé donne du vrai page nous paraît encore plus belle que le portrait de Bathilde dans Anacréon, de même que, dans ses discours et le dialogue entre elle et Silvius, Shakspeare a mis à contribution toutes les beautés de la poésie pastorale et surpassé le Tasse et Guarini.

La forêt des Ardennes fut aussi témoin d'autres scènes héroïques immortalisées par le burin de l'histoire, et dix siècles plus tard, le cor de Roland et le chant de guerre de Fingal et

de Wallace ont retenti sous son vert feuillage et donné le signal des combats. « La veille vit tant de braves pleins de jeunesse et >> de santé; le soir les vit encore figurer dans les cercles joyeux, >> embellis par la grâce et la beauté; à minuit le canon donna le >> signal du combat; l'aurore les trouva rangés en bataille, et le >> jour montra le déploiement magnifique et terrible qui décida » de la chute du grand des grands de la terre. » L'ouragan a passé, le temps a moissonné ceux que le sort des armes avait épargnés; la plus grande partie de ces glorieux débris ont disparu; mais leurs souvenirs parviendront à nos derniers neveux dans les pages sublimes de Byron, Béranger, Delavigne... Au torrent dévasteur a succédé l'olive de la paix. Quelques-uns de ces braves ont brillé d'un autre genre de gloire, d'autant plus douce qu'elle ne laisse après elle aucun regret. Ainsi va le monde. Troie, Babylone, Ninive, Thèbes ne sont plus; le temps a dévoré leurs temples, leurs palais, et n'a laissé à sa suite que des ruines; les productions du génie sont seules impérissables. Mais si la destruction est le partage de l'humanité, les beautés de la nature restent; aux yeux du voyageur la forêt des Ardennes, théâtre de tant d'événements mémorables, brille toujours du même éclat; une succession perpétuelle de jeunes beautés se repose encore à l'ombre de son épais feuillage. Son imagination se rappelle avec délices les charmantes créations dont Shakspeare l'a peuplée; car aussi longtemps que la fidélité et l'amour exciteront de la sympathie dans le cœur de l'homme, Rosalinde et Célie vivront dans les vers enchanteurs de ce puissant magicien.

LA MÉCHANTE FEMME CORRIGÉE.

COMÉDIE.

Cette comédie offre deux pièces en une par l'originalité du prologue. Un lord, au retour de la chasse, voit à la porte d'un cabaret un homme ivre profondément endormi. Ce seigneur, pour se divertir, le fait transporter dans son château. Sly, c'est le nom de l'ivrogne, se trouve à son réveil couché dans un lit somptueux', entouré de valets en riche livrée, au nombre desquels est le lord déguisé. Notre homme demande d'abord un pot de bière; on lui fait croire que depuis quinze ans, en proie à une maladie cruelle, il oublie et son nom et son rang; mais qu'il vient enfin de se réveiller avec sa raison. On lui propose des divertissements de toute espèce, et l'on fait jouer devant lui une comédie par des comédiens nouvellement arrivés au château. Il s'endort vers la fin de la pièce; le lord profite de ce sommeil pour le faire reporter à la porte du cabaret dans l'état où on l'avait trouvé.

L'insouciante gaieté de ce dormeur éveillé, ses commentaires piquants à la fin de chaque acte de la comédie, font regretter que Skakspeare n'ait pas donné plus de développement à ce caractère vraiment original.

Baptiste, riche gentilhomme de Padoue, est le père de deux filles à marier. Catherine, l'aînée, est d'un caractère orgueilleux et emporté. Bianca, la seconde, est un modèle de douceur. Deux cavaliers prétendent à la main de celle-ci ; mais ils soupirent en vain; son père ne veut la marier qu'après sa sœur aînée. Les deux rivaux travaillent de concert à trouver un mari pour Catherine. L'un d'eux, Hortensio, la propose à Petruchio, son ami, sans lui déguiser ses défauts. Petruchio, qui ne pense qu'à la valeur de la dot, accepte avec empressement, et

l'entrevue a lieu. Catherine accable de mépris et d'insultes son nouvel amant, qui, de son côté, ne demeure pas en reste. Cependant elle accepte sa main, en še promettant bien de l'en faire repentir. Petruchio, le jour de son mariage, débute par mille extravagances qui excitent la fureur de Catherine; mais en même temps il se livre à de tels emportements contre ses gens, contre le prêtre même, qu'elle cède à la frayeur, et, au sortir de l'église, obéissant aux ordres de son mari, elle monte à cheval et le suit à son château. Les accès de colère de Petruchio contre ses valets, qu'il accuse de ne pas être assez attentifs pour Catherine, la privent de nourriture et de sommeil. Elle pleure enfin! Soumise désormais, par la crainte, aux volontés de son mari, elle devient douce comme un mouton. Bianca épouse un jeune homme riche, appelé Lucentio, qui s'était introduit près d'elle sous le déguisement d'un précepteur. Hortensio revient à une veuve qu'il avait laissée pour Bianca, et Gremio, son premier rival et déjà sur le retour, se console en prenant part aux fêtes de ces divers mariages.

Cette comédie a été plusieurs fois imitée; d'abord par le poëte anglais Tobin dans sa pièce la Lune de Miel, reproduite avec succès au théâtre de Madame; ensuite par MM. Jouy et Roger à l'Opéra-Comique, l'Amant et le Mari; puis par M. Étienne dans sa charmante comédie la jeune Femme colère.

La méchante Femme corrigée ! ce titre seul nous rappelle les scènes vulgaires de la vie. Juliette, Miranda, douces et poétiques créations, qu'y a-t-il de commun entre vous et Catherine? et pourtant cette Catherine au regard impérieux, à la bouche dédaigneuse, je l'aime et je la plains. Si les secrets du cœur d'une jeune fille nous étaient dévoilés, le verrions-nous toujours à l'abri des blessures de la jalousie? Catherine, ardente, impétueuse, ne peut cacher le ressentiment que lui inspirent la prédilection de son père pour sa sœur et les hommages dont elle est entourée. On aimerait à croire qu'un père moins stupide, une sœur plus prudente, sauraient attendrir ce caractère violent et difficile.

Elle accable ses amants de mépris; mais elle sait qu'ils ne la recherchent que pour sa fortune. Le plus ridicule est celui qu'elle accepte enfin pour son époux, par un sentiment de vengeance. Quel est alors son sort? elle devient la victime d'un

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