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Tous mes arrangements ultérieurs dépendent tellement de la décision de mademoiselle Le Vasseur, qu'il faut que j'en sois instruit avant que de rien faire. Je verrai en attendant tous les lieux des environs où je puis chercher un asile; mais je ne le choisirai qu'après que j'aurai su si elle veut le partager; et, làdessus, je vous supplie qu'il ne lui soit rien insinué pour l'engager à venir si elle y a la moindre répugnance; car l'empressement de l'avoir avec moi n'est que le second de mes desirs; le premier sera toujours qu'elle soit heureuse et contente, et je crains qu'elle ne trouve ma retraite trop solitaire, qu'elle ne s'y ennuie. Si elle ne vient pas, je la regretterai toute ma vie; mais si elle vient, son séjour ici ne sera pas pour moi sans embarras; cependant qu'à cela ne tienne, et fût-elle ici dès demain !

Une autre chose qui me tient en suspens c'est le sort des petits effets que j'ai laissés: s'ils me restent, ce que mademoiselle Le Vasseur ne voudra pas et qui sera d'un plus facile transport pourroit être emballé ou encaissé, et envoyé ici par les soins de M. de Rougemont, banquier, rue Beaubourg, lequel est prévenu. Mais si le parlement juge à propos de tout confisquer et de s'enrichir de mes guenilles, il faut que je pourvoie ici peu-à-peu aux choses dont j'ai un absolu besoin. Voulez-vous bien, M. le maréchal, me faire donner un mot d'avis sur tout cela, et vous charger des lettres que mademoiselle Le Vasseur peut avoir à m'écrire? car elle n'a pas mon adresse, et je souhaite qu'elle ne soit communiquée à personne, ne voulant plus être connu que de vous. Voici une lettre pour

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elle. Je me crois autorisé, par vos bontés, à prendre ces sortes de libertés.

Je ne vous ai point fait l'histoire de mon voyage; il n'a rien de fort intéressant. Je ne vous renouvelle plus l'exposition de mes sentiments, ils seront toujours les mêmes. Mon tendre attachement pour vous est à l'épreuve du temps, de l'éloignement, des malheurs, de ces malheurs même auxquels le cœur d'un honnête homme ne sait point se préparer, parcequ'il n'est pas fait pour l'ignominie, et qui l'absorbent tout entier quand ils lui sont arrivés. En cachant ma honte à toute la terre, je penserai toujours à vous avec attendrissement; et ce précieux souvenir fera ma consolation dans mes misères. Mais vous, M. le maréchal, daignerez-vous quelquefois vous souvenir d'un malheureux proscrit?

316.-A MADEMOISELLE LE VASSEUR.

Yverdun, le 17 juin 1762.

Ma chère enfant, vous apprendrez avec grand plaisir que je suis en sûreté. Puissé-je apprendre bientôt que vous vous portez bien et que vous m'aimez toujours! Je me suis occupé de vous en partant et durant tout mon voyage; je m'occupe à présent du soin de nous réunir. Voyez ce que vous voulez faire, et ne suivez en cela que votre inclination; car, quelque répugnance que j'aie à me séparer de vous, après avoir si long-temps vécu ensemble, je le puis cependant sans inconvénient, quoique avec regret; et même votre séjour en ce pays trouve des difficultés qui ne

m'arrêteront pourtant pas s'il vous convient d'y venir. Consultez-vous donc ma chère enfant, et voyez si vous pourrez supporter ma retraite. Si vous venez, je tâcherai de vous la rendre douce, et je pourvoirai même, autant qu'il sera possible, à ce que vous puissiez remplir les devoirs de votre religion aussi souvent qu'il vous plaira. Mais si vous aimez mieux rester, faites-le sans scrupule, et je concourrai toujours de tout mon pouvoir à vous rendre la vie commode et agréable.

Je ne sais rien de ce qui se passe; mais les iniquités du parlement ne peuvent plus me surprendre, et il n'y a point d'horreurs auxquelles je ne sois déjà préparé. Mon enfant, ne me méprisez pas à cause de ma misère. Les hommes peuvent me rendre malheumais ils ne sauroient me rendre méchant ni injuste; et vous savez mieux que personne que je n'ai rien fait contre les lois.

reux,

J'ignore comment on aura disposé des effets qui sont restés dans ma maison; j'ai toute confiance en la complaisance qu'a eue M. Dumoulin de vouloir bien en être le gardien. Je crois que cela pourra lever bien des difficultés que d'autres auroient pu faire. Je ne présume pas que le parlement, tout injuste qu'il est, ait la bassesse de confisquer mes guenilles. Cependant, si cela arrivoit, venez avec rien, mon enfant, et je serai consolé de tout quand je vous aurai près de moi. Si, comme je le crois, on ferme les yeux et qu'on vous laisse disposer du tout, consultez MM. Mathas, Dumoulin, de La Roche, sur la manière de vous défaire de tout cela ou de la plus grande partie, surtout des 4

XVIII.

livres et des gros meubles, dont le transport coûteroit plus qu'ils ne valent; et vous ferez emballer le reste avec soin, afin qu'il me soit envoyé par une voie qui est connue de M. le maréchal : mais, avant tout, vous tâcherez de me faire parvenir une malle pleine de linge et de hardes, dont j'ai un très grand besoin, donnant avec la malle un mémoire exact de tout ce qu'elle contient. Si vous venez, vous garderez ce qu'il y a de meilleur et qui occupe le moins de volume, pour l'apporter avec vous, ainsi que l'argent que le reste aura produit, dont vous vous servirez pour votre voyage. Si cela, joint à l'appoint du compte de M. de La Roche, excéde ce qui vous est nécessaire, vous le convertirez en lettre-de-change par le banquier qui dirigera votre voyage; car, contre mon attente, j'ai trouvé qu'il faisoit ici très cher vivre, que tout coûtoit beaucoup, et que s'il faut nous remonter absolument en meubles et hardes, ce ne sera pas une petite affaire. Vous savez qu'il y a l'épinette et quelques livres à restituer, et M. Mathas, et le boucher, et mon barbier à payer: je vous enverrai un mémoire sur tout cela. Vous avez dû trouver, dans le couvercle de la boîte aux bonbons, trois ou quatre écus qui doivent suffire pour le paiement du boucher.

Je ne suis point encore déterminé sur l'asile que je choisirai dans ce pays. J'attends votre réponse pour me fixer; car si vous ne veniez pas, je m'arrangerois différemment. Je vous prie de témoigner à messieurs Mathas et Dumoulin, à madame de Verdelin, à messieurs Alamanni et Mandard, à monsieur et madame de La Roche, et généralement à toutes les personnes

qui vous paroîtront s'intéresser à mon sort, combien il m'en a coûté pour quitter si brusquement tous mes amis et un pays où j'étois bien voulu. Vous savez le vrai motif de mon départ; si personne n'eût été compromis dans cette malheureuse affaire, je ne serois sûrement jamais parti, n'ayant rien à me reprocher. Ne manquez pas aussi de voir de ma part M. le curé, et de lui marquer avec quelle édification j'ai toujours admiré son zèle et toute sa conduite, et combien j'ai regretté de m'éloigner d'un pasteur si respectable dont l'exemple me rendoit meilleur. M. Alamanni avoit promis de me faire faire un bandage semblable à un modéle qu'il m'a montré, excepté que ce qui étoit à droite devoit être à gauche; je pense que ce bandage peut très bien se faire sans mesure exacte, en n'ouvrant pas les boutonnières, en sorte que je les pourrois faire ouvrir ici à ma mesure. S'il vouloit bien prendre la peine de m'en faire faire deux semblables, je lui en serois sensiblement obligé; vous auriez soin de lui en rembourser le prix, et de me les envoyer dans la première malle que vous me ferez parvenir. N'oubliez pas aussi les étuis à bougies, et soyez attentive à envelopper le tout avec le plus grand soin.

Adieu, ma chère enfant. Je me console un peu des embarras où je vous laisse, par les bontés et la protection de monsieur le maréchal et de madame la maréchale, qui ne vous abandonneront pas au besoin. Monsieur et madame Dubettier m'ont paru bien disposés pour vous; je souhaiterois que vous fissiez les avances d'un raccommodement, auquel ils se prêteront sûrement: que ne puis-je les raccommoder de

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