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Dans ces jours malheureux de deuil et de ruine, Toi, sur qui j'ai fondé ma cave et ma cuisine, O mon cher Feuilleton! que vas-tu devenir? De vin, de bonne chère, il faudrait m'abstenir! Il faudrait vous quitter, délices de Capoue! Du luxe du journal retomber dans la boue! O de mes derniers ans déplorable destin! Pour prix de mes travaux, quoi! l'opprobre et la faim! Passe encor pour l'opprobre; il a son avantage: Autrefois, sous Fréron, j'en fis l'apprentissage; Rarement on en meurt; quelquefois on en vit; Et ce n'est pas moi seul que ma honte nourrit; Et nous serions réduits à le revoir stérile, Ce champ que mon fumier a rendu si fertile! Vous êtes Empereur, et vous le souffririez! Sire! au nom de l'État je me jette à vos pieds.

La victoire, il est vrai, sur votre front allie
Les palmes de l'Égypte aux lauriers d'Italie;
Déjà Vienne deux fois, devant vos étendards,
A vu s'humilier l'orgueil de ses Césars;
En vain, bravant encor la foudre qui s'apprête,
Albion à vos coups croit dérober sa tête;
Dans la même balance où vos augustes mains
De tant de nations ont pesé les destins,
L'Angleterre viendra, suivant la loi commune,
Faire juger ses droits, et régler sa fortune;

Vous la verrez, soumise au plus noble ascendant,
De Neptune à vos pieds déposer le trident;
Vous vaincrez les Anglais, mais non les philosophes.
Sire! tant qu'ils vivront craignez les catastrophes;
Craignez tout: je suis sûr, pour moi, que c'est par eux
Que le Vésuve brûle, et lance au loin ses feux;
Que la terre ébranlée engloutit Parthénope,

Et

que la fièvre jaune épouvante l'Europe. D'ailleurs, à la raison dressant un tribunal, Leur voix ose y traduire autel, trône, journal, Alors que sous le joug du pouvoir arbitraire Les prêtres et les rois veulent courber la terre, Et que, briguant l'honneur de servir leurs desseins, Aux fers, s'ils sont dorés, je tends d'avides mains. Ils ne sauraient souffrir aucune tyrannie. Sire! laisserez-vous tant d'audace impunie?

Ah! pour la liberté caressant leur fureur,
Vous-même avez nourri cette funeste erreur;
Vous l'avez autrefois adorée et servie;

A cette idole encor votre cœur sacrifie.
Élevé
par le peuple au premier rang des rois,
Vous soumîtes le sceptre à l'empire des lois;
Et, par votre génie au sénat inspirées,

Ce n'est que par son vœu qu'elles sont consacrées.
Cela peut être beau; mais cela ne vaut rien.
L'Empereur ne doit plus penser en citoyen;

OEuvres anciennes. III.

6

Il doit, maître absolu, ne point souffrir d'entraves, Et même pour sujets n'avoir que des esclaves.

Des chaînes! des bâillons! ou plus haut que les rois L'opinion toujours élèvera sa voix.

Une digue au torrent fut jadis opposée;

Mais ses chocs redoublés dès long-tems l'ont brisée.
Contre lui vainement s'unirent tour à tour
L'Église au Parlement, la Sorbonne à la Cour;
Chaque jour se frayant un plus libre passage,
Ses flots d'un cours plus doux caressaient le rivage;
Et les champs plus féconds, par ses eaux pénétrés,
Semblaient de ce poison toujours plus altérés.
Le venin se glissa jusqu'au sein de l'Église;
La Sorbonne elle-même une fois y fut prise.
Un philosophe, hélas! profana son bonnet,
Lorsqu'elle en décora le front de Morellet;
Et trop digne, en effet, d'une secte ennemie,
L'infidèle docteur fut de l'Académie.
Il mourra, le perfide! ainsi qu'il a vécu;
L'exemple, ni le temps, rien ne l'a convaincu;
Et toujours plus ardent, toujours visionnaire,
Ne vient-il pas encor de venger Bélisaire?
Le feu qui l'embrasa ne s'est point amorti;
Mais j'ai trouvé son bras, moi, fort appesanti.

O coupable constance! O vieillesse indocile!
La Harpe s'est montré plus sage et plus facile:

S'il vécut philosophe, il mourut pénitent.
Mais on n'imite pas cet exemple éclatant.
Tant d'obstination et m'indigne et m'irrite.
Si l'on n'est pas dévot, qu'on se fasse hypocrite!
Eh! que suis-je moi-même? Il faut suivre mes pas,
Et penser comme moi, sinon ne penser pas.

Oui, Sire, c'est trop peu de contraindre au silence;
Il faut encore, il faut empêcher qu'on ne pense;

Il

11 faut rompre à jamais ce lien des esprits,

Cette invisible chaîne entre Londre et Paris;

Les penseurs sont un ordre: et les bûchers du Temple Ne vous auraient donné qu'un inutile exemple! Qu'attendez-vous? Frappez ces nouveaux Templiers, Fauteurs de Raynouard et de ses chevaliers,

I

Qui, n'approuvant jamais que les coups légitimes,
Des vengeances des rois osent faire des crimes.
On les ménagea trop; soyons plus aguerris:
Brûlons le philosophe, et non plus ses écrits;
A l'Inquisition redemandons ses flammes;
Que leur feu salutaire épure enfin les âmes;
Et que partout de joie un même cri poussé
Dise Dieu soit béni! La raison a cessé.

Sur nos fiers ennemis quelle illustre victoire!

1. Auteur de la tragédie des Templiers, qui obtiņt un succès éclatant au Théâtre-Français.

Mais souffrez que mon zèle en partage la gloire:
Sire! j'ose prétendre à l'honneur d'allumer

Le fagot trop tardif qui doit les consumer.
J'aurais dans d'autres tems fondé le Saint Office;
Mais, si le Ciel permet que je le rétablisse,
C'est assez je saurai faire dire de moi:

Saint-Dominique1 à peine est l'égal de Geoffroy2.

1. Dominique (saint), fondateur et instituteur de l'ordre dit des Frères précheurs, obtint la charge de grand-inquisiteur dans la province de l'Albigeois, où il était venu répandre l'Évangile. Là, plusieurs milliers d'hommes furent victimes de son fanatique enthousiasme. Le pape Grégoire 1X le canonisa en 1235.

2. Geoffroy ancien rédacteur du Journal de l'Empire, aujourd'hui Journal des Débats.

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