ÉPITRE AUX MANES DE VOLTAIRE. 1790. APÔTRE de la tolérance, Bienfaiteur de l'humanité, Qui, durant soixante ans en France, Voltaire, du sein d'Élisée, Prête-moi ces accens et cette aimable voix Dont ton âme fut embrasée; Et ce courage heureux qui bravait à la fois Et la mauvaise humeur des rois. Tes succès de bonne heure ont agrandi la scène. Plein d'amour pour la gloire, avec moins de talens, OEuvres anciennes. III. 5 Voltaire, ainsi que toi, dès mes plus jeunes ans Les obstacles nombreux ne m'ont point arrêté; J'ai servi les beaux-arts, j'ai vengé mes rivaux; Avaient fermé notre carrière. J'ai, parmi ces rivaux, trouvé beaucoup d'ingrats; L'espèce des auteurs, dont pourtant je fais cas, S'avisait de juger mon ouvrage pervers, Et devant la commune, en très-mauvais français, Me dénonçait comme hérétique. Il parut enfin cet ouvrage, Où tous les préjugés, sapés avec courage, Et qu'un citoyen véridique, Dans l'élan d'une âme énergique, Le soir, le lendemain, vingt lettres anonymes M'annonçaient un assassinat; J'allais être égorgé; mes vers étaient des crimes; Des Gautiers, des Charnois, disciple, infortuné, Et, ne pouvant fléchir leur goût inexorable, Je me vois tous les jours aux bêtes condamné. De quelques vers heureux les cuisantes blessures, Iraient dans le tombeau rejoindre leurs écrits, Faut-il que la race nouvelle Apprenne et l'existence et le nom d'un Suard? Que La Fayette doit défendre. Tout suit aveuglément les ordres du destin: Le cygne, au bord d'une onde pure, Fait entendre sa voix, honneur de la nature; L'aigle pour fixer la lumière; L'insecte et Charnois pour ramper Qui plus que toi, grand homme, a ressenti les coups Dans une obscure ignominie, De tout ce qui reluit sont bêtement jaloux? Si tu frappais encor ces nocturnes hibous, Si tu vivais encor pour nous inspirer tous! De ce double pouvoir des prêtres et des rois, Les fondemens inébranlables!... |