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me la voir fermer une seconde fois? Ils n'en auront plus, direz-vous, le prétexte. Eh! pardonnezmoi, monsieur, ils l'auront toujours; car, sitôt qu'il faudra trouver leur Opéra beau, qu'on me remène aux Carrières! Que n'ont-ils proposé cette admirable condition dans leur marché! jamais ils n'auraient massacré mon pauvre Devin. Quand ils voudront me chicaner, manqueront-ils de prétextes? Avec des mensonges, on n'en manque jamais. N'ont-ils pas dit que je faisais du bruit au spectacle, et que mon exclusion était une affaire de police?

Premièrement, ils mentent : j'en prends à témoin tout le parterre et l'amphithéâtre de ce temps-là. De ma vie je n'ai crié ni battu des mains aux bouffons; et je ne pouvais ni rire ni bailler à l'Opéra français, puisque je n'y restais jamais, et qu'aussitôt que j'entendais commencer la lugubre psalmodie, je me sauvais dans les corridors. S'ils avaient pu me prendre en faute au spectacle, ils se seraient bien gardés de m'en éloigner. Tout le monde a su avec quel soin j'étais consigné, recommandé aux sentinelles ; partout on n'attendait qu'un mot, qu'un geste pour m'arrêter; et sitôt que j'allais au parterre, j'étais environné de mouches qui cherchaient à m'exciter. Imaginez-vous s'il fallut user de prudence pour ne donner aucune prise sur moi. Tous leurs efforts furent vains; car il y a long-temps que je me suis dit: Jean-Jacques, puisque tu prends le dangereux emploi de défenseur de la vérité, sois sans cesse attentif sur toi-même, soumis en tout aux lois

et aux règles, afin que, quand on voudra te maltraiter, on ait toujours tort. Plaise à Dieu que j'observe aussi bien ce précepte jusqu'à la fin de ma vie, que je crois l'avoir observé jusqu'ici1! Aussi, mon bon ami, je parle ferme et n'ai peur de rien. Je sens qu'il n'y a homme sur la terre qui puisse me faire du mal justement; et quant à l'injustice, personne au monde n'en est à l'abri. Je suis le plus faible des êtres; tout le monde peut me faire du mal impunément. J'éprouve qu'on le sait bien, et les insultes des directeurs de l'Opéra sont pour moi le coup de pied de l'âne. Rien de tout cela ne dépend de moi; qu'y ferais-je? Mais c'est mon affaire que quiconque me fera du mal fasse mal; et voilà de quoi je réponds.

Premièrement donc, ils mentent; et en second lieu, quand ils ne mentiraient pas, ils ont tort: car, quelque mal que j'eusse pu dire, écrire ou faire, il ne fallait point m'ôter les entrées, attendu que l'Opéra, n'en étant pas moins possesseur de mon ouvrage, n'en devait pas moins payer le prix convenu. Que fallait-il donc faire? m'arrêter, me traduire devant les tribunaux, me faire mon procès, me faire pendre, écarteler, brûler, jeter ma cendre au vent, si je l'avais mérité; mais il ne fallait pas m'ôter les entrées. Aussi-bien, comment, étant prisonnier ou pendu, serais-je allé faire du bruit à l'Opéra? Ils disent encore : Puisqu'il se dé

' Il continua de l'observer en effet, ce qui fit qu'on eut tort, et que son you fut réalisé. Mais il n'en fut pas plus heureux. Voyez l'avertissement de l'Émile.

plaît à notre théâtre, quel mal lui a-t-on fait de lui en ôter l'entrée ? Je réponds qu'on m'a fait tort, violence, injustice, affront; et c'est du mal que cela. De ce que mon voisin ne veut pas employer son argent, est-ce à dire que je sois en droit d'aller lui couper la bourse?

De quelque manière que je tourne la chose, quelque règle de justice que j'y puisse appliquer, je vois toujours qu'en jugement contradictoire, par-devant tous les tribunaux de la terre, les directeurs de l'Opéra seraient à l'instant condamnés à la restitution de ma pièce, à réparation, à dommages et intérêts. Mais il est clair que j'ai tort, parce que je ne puis obtenir justice; et qu'ils ont raison, parce qu'ils sont les plus forts. Je défie qui que ce soit au monde de pouvoir alléguer en leur faveur autre chose que cela.

Il faut à présent vous parler de mes libraires ; et je commencerai par M. Pissot. J'ignore s'il a gagné ou perdu avec moi. Toutes les fois que je lui demandais si la vente allait bien, il me répondait, passablement; sans que jamais j'en aie pu tirer autre chose. Il ne m'a pas donné un sou de mon premier discours ni aucune espèce de présent, sinon quelques exemplaires pour mes amis. J'ai traité avec lui pour la gravure du Devin du village, sur le pied de cinq cents francs, moitié en livres, et moitié en argent, qu'il s'obligea de me payer en plusieurs fois, et à certains termes; il ne tint parole à aucun, et j'ai été obligé de courir long-temps après mes deux cent cinquante livres.

Par rapport à mon libraire de Hollande, je l'ai trouvé en toutes choses exact, attentif, honnête: je lui demandai vingt-cinq louis de mon Discours sur l'Inégalité; il me les donna sur-le-champ, et il envoya de plus une robe à ma gouvernante. Je lui ai demandé trente louis de ma Lettre à M. d'Alembert, et il me les donna sur-le-champ : il n'a fait, à cette occasion, aucun présent, ni à moi, ni à ma gouvernante, et il ne le devait pas; mais il m'a fait un plaisir que je n'ai jamais reçu de M. Pissot, en me déclarant de bon cœur qu'il faisait bien ses affaires avec moi. Voilà, mon ami, les faits dans leur exactitude. Si quelqu'un vous dit quelque chose de contraire à cela, il ne dit pas vrai.

Si ceux qui m'accusent de manquer de désintéressement entendent par là que je ne me verrais pas ôter avec plaisir le peu que je gagne pour vivre, ils ont raison; et il est clair qu'il n'y a pour moi d'autre moyen de leur paraître désintéressé que de me laisser mourir de faim. S'ils entendent que toutes ressources me sont également bonnes, et que, pourvu que l'argent vienne, je m'embarrasse peu comment il vient, je crois qu'ils ont tort. Si j'étais plus facile sur les moyens d'acquérir, il me serait moins douloureux de perdre, et l'on sait bien qu'il n'y a personne de si prodigue que les voleurs. Mais quand on me dépouille injustement de ce qui m'appartient, quand on m'ôte le mo

“Depuis lors il lui a fait une pension viagère de 300 livres ; et je me fais un sensible plaisir de rendre public un acte aussi rare de reconnaissance et de générosité.

dique produit de mon travail, on me fait un tort qu'il ne m'est pas aisé de réparer ; il m'est bien dur de n'avoir pas même la liberté de m'en plaindre. Il y a long-temps que le public de Paris se fait un Jean-Jacques à sa mode, et lui prodigue d'une main libérale des dons dont le Jean-Jacques de Montmorency ne voit jamais rien. Infirme et malade les trois quarts de l'année, il faut que je trouve, sur le travail de l'autre quart, de quoi pourvoir à tout. Ceux qui ne gagnent leur pain que par des voies honnêtes connaissent le prix de ce pain, et ne seront pas surpris que je ne puisse faire du mien de grandes largesses.

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Ne vous chargez point, croyez-moi, de me défendre des discours publics, vous auriez trop à faire il suffit qu'ils ne vous abusent pas, et que votre estime et votre amitié me restent. J'ai à Paris et ailleurs des ennemis cachés qui n'oublieront point les maux qu'ils m'ont faits; car quelquefois l'offensé pardonne, mais l'offenseur ne pardonne jamais. Vous devez sentir combien la partie est inégale entre eux et moi. Répandus dans le monde, ils y font passer tout ce qu'il leur plaît, sans que je puisse ni le savoir ni m'en défendre : ne sait-on pas que l'absent a toujours tort? D'ailleurs, avec mon étourdie franchise, je commence par rompre ouvertement avec les gens qui m'ont trompé. En déclarant haut et clair que celui qui se dit mon ami ne l'est point, et que je ne suis plus le sien, j'avertis le public de se tenir en garde contre le mal que j'en pourrais dire. Pour eux, ils ne sont

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