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SECONDE PARTIE,

DU Ier JANVIER 1758, AU 12 MAI 1763,

Depuis sa sortie de l'Hermitage, jusqu'à son abdication
du droit de bourgeoisie.

LETTRE CLXII.

A MADAME D'HOUDETOT.

Mont-Louis, janvier 1758.

Votre barbarie est inconcevable; elle n'est pas de vous. Ce silence est un raffinement de cruauté qui n'a rien d'égal. On vous dira l'état où je suis depuis huit jours. Et vous aussi! et vous aussi, Sophie, vous me croyez un méchant a! Ah Dieu! si

"Notez que toutes les horribles noirceurs dont on m'accusait se réduisaient à n'avoir pas voulu suivre à Genève madame d'Épinay. C'était uniquement pour cela que j'étais un monstre d'ingratitude, un homme abominable. Il est vrai qu'on m'accusait de plus du crime horrible d'être amoureux de madame d'Houdetot, et de ne pouvoir me résoudre à m'éloigner d'elle. Que cela fût ou non, il est certain que j'avais une autre puissante raison pour ne pas suivre madame d'Épinay, qui m'en eût empêché quand je n'aurais eu que celle-là. Je ne pouvais, sans lui manquer, dire cette raison, qui n'avait de rapport qu'à elle'. Ainsi réduit à taire les deux véritables raisons

⚫ C'était la grossesse de madame d'Épinay qu'il fallait cacher à son mari. Ce voyage n'avait pas d'autre but. Tout s'arrangea pour le mieux, puisque ce fut le mari même qui l'accompagna, fort inquiet de la santé de sa femme. Il revint

vous le croyez, à qui donc en appellerai-je ?... Mais pourtant comment se fait-il que la vertu me soit si chère?... que je sente en moi le cœur d'un homme de bien? Non quand je tourne les yeux sur le passé, et que je vois quarante ans d'honneur à côté d'une mauvaise lettre, je ne puis désespérer de moi.

Je n'affecterai point une fermeté dont je suis bien loin; je me sens accablé de mes maux. Mon ame est épuisée de douleurs et d'ennuis. Je porte dans un cœur innocent toutes les horreurs du crime; je ne fuis point des humiliations qui conviennent à mon infortune; et, si j'espérais vous fléchir, j'irais, ne pouvant arriver jusqu'à vous, vous attendre à votre sortie, me prosterner au-devant de vous, trop heureux d'être foulé aux pieds des chevaux, écrasé sous votre carrosse, et de vous arracher au moins un regret à ma mort. N'en parlons plus la pitié n'efface point le mépris; et, si vous me croyez digne du vôtre, il faut ne me regarder jamais.

Ah! méprisez-moi si vous le pouvez; il me sera plus cruel de vous savoir injuste que moi déshonoré, et j'implore de la vertu la force de supporter le plus douloureux des opprobres. Mais, , pour voir ôté votre estime, faut-il renoncer à l'humanité ? Méchant ou bon, quel bien attendez-vous

m'a

que j'avais pour rester, j'étais forcé, pour m'excuser, de battre la campagne, et de me laisser accuser par madame d'Épinay et par ses amis, de l'ingratitude la plus noire, précisément parce que je ne voulais pas être ingrat ni la compromettre.

après l'avoir recommandée à Tronchin qu'elle appelle son sauveur. Il ne fallait pas un aussi habile médecin pour la guérir.

de mettre un homme au désespoir? Voyez ce que je vous demande; et, si vous n'êtes pire que moi, osez me refuser. Je ne vous verrai plus; les regards de Sophie ne doivent tomber que sur un homme estimé d'elle, et l'œil du mépris n'a jamais souillé ma personne. Mais vous fûtes, après Saint-Lambert, le dernier attachement de mon cœur : ni lui, ni vous, n'en sortirez jamais; il faut que je m'occupe de vous sans cesse, et je ne puis me détacher de vous qu'en renonçant à la vie. Je ne vous demande aucun témoignage de souvenir; ne parlez plus de moi; ne m'écrivez plus; oubliez que vous m'avez honoré du nom de votre ami, et que j'en fus digne. Mais ayant à vous parler de vous, ayant à vous tenir le sacré langage de la vérité, que vous n'entendrez peut-être que de moi seul, que je sois sûr au moins que vous daignerez recevoir mes lettres, qu'elles ne seront point jetées au feu sans les lire, et que je ne perdrai pas ainsi les chers et derniers travaux auxquels je consacre le reste infortuné de ma vie. Si vous craignez d'y trouver le venin d'une ame noire, je consens qu'avant de les lire vous les fassiez examiner, pourvu que ce ne soit pas cet honnête homme qui se complaît si fort à faire un scélérat de son ami. Que la première où l'on trouvera la moindre chose à blamer fasse à jamais ré

I

' M. Grimm. On voit en effet dans les Mémoires de madame d'Épinay, qu'il était parvenu à en imposer à tout le monde. Saint-Lambert seul le trouvait impertinent, et conséquemment madame d'Houdetot n'avait pas grande estime pour lui; mais ils se taisaient, parce que les autres membres de cette société le regardaient comme un oracle.

voquer la permission que je vous demande. Nesoyez pas surprise de cette étrange prière; il y a si long-temps que j'apprends à aimer sans retour, que mon cœur y est tout accoutumé.

LETTRE CLXIII.

A M.. VERNES.

Montmorency, le 18 février 1758.

Qui, mon cher concitoyen, je vous aime toujours, et, ce me semble, plus que jamais : mais je suis accablé de mes maux; j'ai bien de la peine à vivre, dans ma retraite, d'un travail peu lucratif; je n'ai que le temps qu'il me faut pour gagner mon pain, et le peu qui m'en reste est employé pour souffrir et me reposer. Ma maladie a fait un tel progrès cet hiver, j'ai senti tant de douleurs de toute espèce, et je me trouve tellement affaibli, que je commence à craindre que la force et les moyens ne me manquent pour exécutér, mon projet. Je me console de cette impuissance par la considération de l'état où je suis. Que me servirait d'aller mourir parmi vous? hélas! il fallait y vivre. Qu'importe où l'on laisse son cadavre? Je n'aurais pas besoin qu'on reportât mon cœur dans ma patrie : il n'en est jamais sorti.

Je n'ai point eu occasion d'exécuter votre commission auprès de M. d'Alembert. Comme nous ne nous sommes jamais beaucoup vus, nous ne nous

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