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père, et il n'y a point de sort que le travail, la vigilance, l'innocence et le contentement de soi ne rendent supportable, quand on s'y soumet en vue de remplir son devoir. Voilà, monsieur, des conseils qui valent tous ceux que vous pourriez venir prendre à Montmorency: peut-être ne seront-ils pas de votre goût, et je crains que vous ne preniez pas le parti de les suivre; mais je suis sûr que vous vous en repentirez un jour. Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir. Je vous prie, monsieur, d'agréer mes salutations très-humbles.

LETTRE CLXV.

A MADAME D'ÉPINAY.

Mont-Louis, 27 février 1758.

Je vois, madame, que mes lettres ont toujours le malheur de vous arriver fort tard. Ce qu'il y a de sûr c'est que la vôtre du 17 janvier ne m'a été remise que le 17 de ce mois par M. Cahouet: apparemment que votre correspondant l'a retenue durant tout cet intervalle. Je n'entreprendrai pas d'expliquer ce que vous avez résolu de ne pas entendre, et j'admire comment avec tant d'esprit on réunit si peu d'intelligence; mais je n'en devrais plus être surpris, il y a long-temps que vous vous vantez à moi du même défaut1.

Madame d'Épinay, qui rapporte cette lettre dans ses Mémoires,

Mon dessein n'ayant jamais été de recevoir le remboursement des gages de votre jardinier, il n'y a guère d'apparence que je change à présent de sentiment là-dessus. Le consentement que vous objectez était de ces consentements vagues qu'on donne pour éviter des disputes, ou les remettre à d'autres temps, et valent au fond des refus. Il est vrai que vous envoyâtes au mois de septembre 1756 payer par votre cocher le précédent jardinier, et que ce fut moi qui réglai son compte.

Il est vrai aussi que j'ai toujours payé son successeur de mon argent. Quant aux premiers quartiers de ces gages que vous dites m'avoir été remis, il me semble, madame, que vous devriez savoir le contraire ce qu'il y a de très-sûr, c'est qu'ils ne m'ont pas même été offerts. A l'égard des quinze jours qui restaient jusqu'à la fin de l'année quand je sortis de l'Hermitage, vous conviendrez que ce n'était pas la peine de les déduire. A Dieu ne plaise que je prétendė être quitte pour cela de mon séjour à l'Hermitage! Mon cœur ne sait pas

la trouva très-impertinente. Elle fut probablement choquée de ce passage: il répondait à celui-ci, « Je n'entends pas bien votre lettre,' << et si nous étions dans le cas de nous expliquer, je voudrais bien «< mettre tout ce qui s'est passé sur le compte d'un mal-entendu. C'était une sorte d'avance, à laquelle Rousseau ne répondit pas; et si Grimm eût été près de madame d'Épinay, elle ne l'eût point faite. Quand Jean-Jacques lui dit qu'elle se vante de son peu d'intelligence, il fait allusion à ce qu'elle lui avait mandé dans l'une des premières lettres, qu'elle avait un rhumatisme sur l'esprit. Mais ce qui dut la piquer particulièrement, c'est de voir que son hôte avait pris son parti, qu'il était calme, et lui donnait une leçon méritée sur la manière dont on doit se conduire envers ses amis quand l'amitié est éteinte.

mettre à si bas prix les soins de l'amitié; mais quand vous avez taxé ce prix vous-même, jamais. loyer ne fut vendu si cher.

J'apprends les étranges discours que tiennent à Paris vos correspondants sur mon compte, et je juge par là de ceux que vous tenez peut-être un peu plus honnêtement à Genève. Il y a donc bien du plaisir à nuire ? à nuire aux gens qu'on eut pour amis? soit. Pour moi, je ne pourrai jamais goûter ce plaisir-là, même pour ma propre défense. Faites, dites tout à votre aise; je n'ai d'autre réponse à vous opposer que le silence, la patience, et une vie intègre. Au reste, si vous me destinez quelque nouveau tourment, dépêchez-vous; car je sens que vous pourriez bien n'en avoir pas long-temps le plaisir.

OBSERVATION.

Ici finissent toutes relations entre JeanJacques et madame d'Épinay. Il persista dans son refus de rẻcevoir le remboursement des gages qu'il avait payés au jardinier. Le ton de cette lettre est remarquable par une douce mélancolie qui prouve que le cœur de Rousseau était inaccessible à la haine. Quelque temps après la sortie de l'Hermitage, madame d'Épinay écrivait de Genève, à madame d'Houdetot, `et lui disait ; « On me mande qu'il a quitté l'Hermitage, et qu'il « s'est établi à Montmorency. J'en suis fâchée pour lui, mais ce « n'est pas moi qui en suis cause. » C'était cependant une cause bien déterminante que le congé formel qu'elle lui avait donné. Il paraît, d'après une lettre de Grimm insérée dans les Mémoires de madame d'Épinay, que le public de Paris ne mettait pas tous les torts du côté de Rousseau. « La désertion de l'Her<< mitage, dit-il, commence à faire du bruit. J'ai le chagrin de « voir qu'on prend le change sur le motif honnête et généreux qui vous a portée à lui rendre service; on ne voit dans ce que

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« vous avez fait pour lui qu'une singularité affectée et une prétention ridicule. » Mémoires de madame d'Épinay, tome 111, page 248, (1re édition).

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Il faut, mon cher Diderot, que je vous écrive encore une fois en ma vie : vous ne m'en avez que trop dispensé; mais le plus grand crime de cet homme, que vous noircissez d'une si étrange manière, est de ne pouvoir se détacher de vous.

Mon dessein n'est point d'entrer en explication, pour ce moment-ci, sur les horreurs que vous m'imputez. Je vois que cette explication serait à présent inutile; car, quoique né bon et avec une ame franche, vous avez pourtant un malheureux penchant à mésinterpréter les discours et les actions de vos amis. Prévenu contre moi comme vous l'êtes, vous tourneriez en mal tout ce que je pourrais dire pour me justifier, et mes plus ingénues explications ne feraient que fournir à votre esprit subtil de nouvelles interprétations à ma charge. Non, Diderot, je sens que ce n'est pas par là qu'il faut commencer. Je veux d'abord proposer à votre bon sens des préjugés plus simples, plus vrais, mieux fondés que les vôtres, et dans lesquels je ne pense pas, au moins, que vous puissiez trouver de nouveaux crimes.

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Je suis un méchant homme, n'est-ce pas ? vous en avez les témoignages les plus sûrs; cela vous est bien attesté. Quand vous avez commencé de l'apprendre, il y avait seize ans que j'étais pour yous un homme de bien, et quarante ans que je l'étais pour tout le monde. En pouvez-vous dire autant de ceux qui vous ont communiqué cette belle découverte? Si l'on peut porter à faux si long-temps le masque d'un honnête homme, quelle preuve avez-vous que ce masque ne couvre pas leur visage aussi bien que le mien? Est-ce un moyen bien propre à donner du poids à leur autorité, que de charger en secret un homme absent, hors d'état de se défendre? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Je suis un méchant : mais pourquoi le suis-je? Prenez bien garde, mon cher Diderot; ceci mérite votre attention. On n'est pas malfaisant pour rien. S'il y avait quelque monstre ainsi fait, il n'attendrait pas quarante ans à satisfaire ses inclinations dépravées. Considérez donc ma vie, mes passions, mes goûts, mes penchants; cherchez, si je suis méchant, quel intérêt m'a pu porter à l'être. Moi qui, pour mon malheur, portai toujours un cœur trop sensible, que gagnerais-je à rompre avec ceux qui m'étaient chers? A quelle place ai-je aspiré? à quelles pensions, à quels honneurs m'at-on vu prétendre? quels concurrents ai-je à écarter? Que m'en peut-il revenir de mal faire? Moi qui ne cherche que la solitude et la paix, moi dont le souverain bien consiste dans la paresse et l'oi

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