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on ne savoit que miauler on ne pouvoit pas juger de l'art du chant, et cette maxime suffit à notre justification. Cependant nous mettrons désormais le plus grand soin à distinguer les Gluckistes,* qui sont, nous a-t-il dit, les moineaux, des Piccinistes, qui sont les rossignols. Nous vous supplions seulement de nous pardonner les erreurs où nous pourrions tomber en dénichant quelque couvée de Piccinistes, qu'il est impossible de reconnoître lorsqu'ils sont sans plumes, et qu'ils n'ont pas encore appris à chanter.

La dernière imputation que nous repousserons, trèsillustre Dame, est celle qu'on tire contre nous du grand nombre de souris dont votre maison est infestée. Elles font, dit-on, un dégât horrible dans votre sucre et vos confitures; elles rongent les livres de vos savans, et jusqu'aux mules de Mademoiselle Luillier† dans le tems même qu'elle marche. On prétend que les chats n'étant créés et mis au monde par la Providence, (qui veille avec une égale bonté sur les chats et les souris,) que pour manger les souris, quand ils ne remplissent pas leur destination, on n'a rien de mieux à faire que de les noyer.

Certainement, très-illustre Dame, il vous est aisé de reconnoître le langage de l'intérêt personnel dans la bouche de nos accusateurs. Le Sieur Cabanis, ‡ qui fait chez vous une consommation énorme de confitures et qui va sans cesse dérobant des morceaux de sucre lorsqu'il croit n'être pas vu, a ses raisons pour vous faire regarder comme un crime capital la gourmandise de quelques souris qui écornent un pain, ou entament avant lui un pot de gelée de groseilles; mais il montre une âme encore plus atroce qu'intéressée lors

* Gluck, compositeur Allemand.

Vieille femme-de-chambre de Madame H.
Ami de Madame H. demeurant chez elle.

qu'il nous juge dignes de mort parce que nous n'empêchons pas ces petites bêtes de faire la millième partie d'un dégât que lui-même, tout grand qu'il est, fait sans discrétion comme sans remords; et pousseroit-il plus loin sa barbarie envers nous si, comme lui et les souris, nous étions nous-mêmes des animaux sucro-phages et confituri-vores? N'est-il pas manifeste que sa gourmandise seule lui inspire des sentimens si cruels, et pourriez-vous leur donner entrée dans votre cœur?

Pour les livres du Sieur Abbé de la Roche et de cet autre savant,* dont nous avons lu tout-à-l'heure le discours à l'Académie enveloppant un mou de veau que vous avez eu la bonté de nous faire donner; quel est donc le grand mal que les souris mangent un peu de leurs bouquins? A quoi leurs servent toutes leurs lectures? Depuis qu'ils vivent auprès de vous, ne doivent-ils pas s'être pleinement convaincus de l'inutilité du savoir? Ils vous voient bonne, sans le secours d'aucun Traité de Morale; aimable sans avoir lu l'Art de Plaire de notre historiographe Moncrief, et heureuse sans connoître le Traité du Bonheur, du malheureux Maupertuis; en même tems qu'ils sont les témoins journaliers de votre profonde ignorance. Ils savent beaucoup de choses, mais ils ignorent l'art que vous savez si bien de vous passer de rien savoir. Votre orthographe n'est pas beaucoup meilleure que la nôtre, et votre écriture ne vaut pas mieux que notre griffonage. Vous écrivez boneure pour bonheur; mais vous possédez la chose sans savoir comment son nom s'écrit; enfin, ce bonheur même qu'ils ne savent pas puiser dans leurs livres, du haut de votre ignorance vous le répandez sur eux. Les souris ne leur font donc pas un si grand tort.

Quant aux mules de Mademoiselle Luillier, pour peu qu'elle voulût aller moins lentement, les souris ne lui

*L'Abbé Morellet.

mangeroient pas les pieds; et il est étrange qu'on nous condamne à la mort parce que votre femme-de-chambre n'a guères plus de mouvement qu'un limaçon.

Ces raisons si fortes ne sont pas encore les seules qui peuvent nous excuser envers vous des dégâts que les souris font dans votre maison.

Ah! très-illustre Dame, en quelle conscience peut-on se plaindre de ce que nous ne prenons pas vos souris, lorsque vous avez sans cesse auprès de vous deux monstres altérés de notre sang, qui ne nous permettent pas d'approcher de votre chère personne, comme la reconnoissance et le devoir nous y porteroient? deux chiens, c'est tout dire; animaux nourris dans la haine des chats, dont les aboiemens continuels nous remplissent de terreur. Comment ose-t-on nous reprocher de nous tenir éloignés des lieux où règnent ces animaux féroces, en qui la nature a mis l'aversion pour notre race et la force pour la détruire? Encore, si nous n'avions affaire qu'à des chiens François, leur haine ne seroit pas si active, leur férocité seroit moindre; mais vous êtes toujours accompagnée d'un bull-dog que vous avez fait venir d'Angleterre (au mépris des sages dispositions de M. le Contrôleur-Général), et qui nous hait doublement, comme chats Francois. Nous voyons, sous nos yeux, tous les jours, les cruels effets de sa rage, dans la queue dépouillée de notre frère Le Noir. Notre zèle pour votre service, et même le goût que nous avons pour les souris nous conduiroit à la chasse dans vos appartemens, si nous n'en étions pas bannis par ces ennemis redoutables que vous en avez rendus les maitres. Qu'on cesse donc de nous reprocher les désordres que causent chez vous les souris, puisqu'on nous met dans l'impossibilité de les réprimer.

Hélas! ils ne sont plus ces tems heureux, où l'illustre chat Pompon régnoit dans ces mêmes lieux, dormoit sur

vos genoux, et reposoit sur votre couche; où cette Zémire,* aujourd'hui si ardente à nous chasser de chez vous, et qui entre en fureur au seul mot de chat, faisoit humblement sa cour au favori dont elle occupe aujourd'hui la place. Alors nous marchions la queue levée dans toute la maison. Feu M. Pompon daignoit quelquefois partager avec le dernier d'entre nous les lapins que Sa Majesté lui envoyoit de sa chasse, et à l'ombre du crédit de cet illustre favori nous jouissions de quelque paix et de quelque bonheur. Cet heureux tems n'est plus! Nous vivons sous un règne de chien, et nous regrettons sans cesse le chat, sous l'empire duquel nous avons coulé de si beaux jours! Aussi allons-nous toutes les nuits arroser de nos pleurs le pied du cyprès que couvre sa tombe.

Ah! très-illustre Dame, que le souvenir du chat que vous avez tant aimé, vous touche au moins de quelque pitié pour nous. Nous ne sommes pas à la vérité de sa race, puisqu'il fut voué dès sa jeunesse à la chasteté ; mais nous sommes de son espèce. Ses mânes, errans encore dans ces lieux, vous demandent la révocation de l'ordre sanguinaire qui menace nos jours; nous emploierons tous ceux que vous conserverez à vous miauler notre vive reconnoissance, et nous la transmettrons aux cœurs de nos enfans et des enfans de nos enfans.

*Petite chienne.

TRANSLATION.

AN HUMBLE PETITION, PRESENTED TO MADAME
HELVETIUS BY HER CATS.

MOST ILLUSTRIOUS AND EXCELLENT LADY,

A terrible piece of news has just reached us, to interrupt the happiness we enjoyed in your poultry-yard and wood-yard. We learn that, in consequence of certain calumnious representations on the part of our enemies, your Abbés,* a sentence of proscription has been issued against us, and that by means of a diabolical invention we are all to be seized, put into a cask, rolled down to the river, and abandoned to the mercy of the waters. At the moment in which we are drawing up this our humble request, we hear the strokes of the hammer and hatchet from the hands of your coachman, who is employed to frame the instrument of our destruction.

But, most illustrious Lady, shall we be condemned without being heard? and shall we be the only creatures among so many fed and nourished by you, who do not find your bosom alive to justice and compassion? We see your beneficent hand every day feeding two or three hundred chickens, as many canary-birds, pigeons without number, all the sparrows of the neighbourhood, all the blackbirds of the Wood of Boulogne, nay, even the very dogs of your domain; and shall we alone not only cease to experience the effects of your beneficence, but, what is more terrible to think of, become the objects of a cruelty wholly foreign to your nature, and never exercised but towards us? No, the natural goodness of your heart will recall in you sentiments more worthy of your catology.

We are

Alas! what are the crimes that we have committed! accused to what lengths will not calumny transport the heart! we are accused of eating your chickens while they are still young, of making depredations from time to time upon your pigeons, of watching your canary-birds incessantly, and seizing any that come near enough to the lattice of your aviary, and of suffering the mice to infest your house unmolested.

But are imputed crimes sufficient to render any one guilty? These horrible accusations we can easily repel. In the first place, it must be observed, that they do not rest upon any proofs. Granted that the feet of some pigeons, or the feathers of some chickens, may

The Abbés Morellet and La Roche.

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