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lettres, ses discussions, on sent que la politique et le gouvernement lui ont donné la moitié de son esprit. Placer les gens, manier l'argent, interpréter la loi, démêler les motifs des hommes, prévoir les altérations de l'opinion publique, être forcé de juger juste, vite et vingt fois par jour, sur les intérêts présents et grands, sous la surveillance du public et l'espionnage des adversaires, voilà les aliments qui ont nourri sa raison et soutenu ses entretiens; un tel homme pouvait juger et conseiller l'homme; ses jugements n'étaient pas des amplifications arrangées par un effort de tête, mais des observations contrôlées par l'expérience; on pouvait l'écouter en des sujets moraux, comme on écoute un physicien en des matières de physique; on le sentait autorisé et on se sentait instruit.

Au bout d'un peu de temps on se sentait meilleur, car on reconnaissait en lui dès l'abord une âme singulièrement élevée, très-pure, préoccupée de l'honnête jusqu'à en faire son souci constant et son plus cher plaisir. Il aimait naturellement les belles choses, la bonté et la justice, la science et la liberté. Dès sa première jeunesse, il s'était joint au parti libéral, et jusqu'au bout il y demeura, espérant bien de la raison et de la vertu humaine, marquant les misères où tombent les peuples qui avec leur indépendance abandonnent leur dignité1. Il suivait les

1. Épitre à Halifax.

O Liberty, thou Goddess heavenly bright,
Profuse of bliss, and pregnant with delight,

hautes découvertes de la physique nouvelle pour rehausser encore l'idée qu'il avait de l'œuvre divine. Il aimait les grandes et graves émotions qui nous révèlent la noblesse de notre pensée et l'infir⚫mité de notre condition. Il employait tout son talent et tous ses écrits à nous donner le sentiment de ce que nous valons et de ce que nous devons être. Des deux tragédies qu'il fit ou médita, l'une était sur la mort de Caton, le plus vertueux des Romains; l'autre sur celle de Socrate, le plus vertueux des Grecs; encore, à la fin de la première, il eut un scrupule, et de peur d'excuser le suicide, il donna à Caton un remords. Son opéra de Rosamonde s'achève par le conseil de préférer l'amour honnête aux joies défendues; son Spectator, son Tatler, son Guardian sont les sermons d'un prédicateur laïque. Bien plus, il a pratiqué ses maximes. Lorsqu'il fut dans les emplois, son intégrité resta entière; il servit les gens souvent sans les connaître, toujours gratuitement, refusant les présents même déguisés. Lorsqu'il fut hors des emplois, sa loyauté resta entière;

Eternal pleasures in thy presence reign,

And smiling plenty leads thy wanton train....
'Tis Liberty that crowns Britannia's isle,

And makes her barren rocks and her bleak mountains smile.

Sur la république de Saint-Marin :

Nothing can be a greater instance of the natural love that mankind has for liberty and of their aversion to an arbitrary government, than such a savage mountain covered with people, and the Campania of Rome, which lies in the same country, almost destitute of inhabitants.

(Remarks on Italy, Ed. Hurd, tome I, 406.)

il persévéra dans ses opinions et dans ses amitiés, sans aigreur ni bassesse, louant hardiment ses protecteurs tombés1, ne craignant pas de s'exposer par là à perdre les seules ressources qu'il eût encore. Il était noble par nature, et il l'était aussi par raison. Il jugeait qu'il y a du bon sens à être honnête. Son premier soin, comme il le dit, était de ranger ses passions « du côté de la vérité. » Il s'était fait antérieurement un portrait de la créature raisonnable, et y conformait sa conduite autant par réflexion que par instinct. Il appuyait chaque vertu sur un ordre de principes et de preuves. Sa logique nourrissait sa morale, et la rectitude de son esprit achevait la droiture de son cœur. Sa religion, tout anglaise, était pareille. Il appuyait sa foi sur une suite régulière de discussions historiques ; il établissait l'existence de Dieu par une suite régulière d'inductions morales; la démonstration minutieuse et solide était partout le guide et l'auteur de ses croyances et de ses émotions. Ainsi disposé, il aimait à concevoir Dieu comme le chef raisonnable du monde; il transformait les accidents et les nécessités en calculs et en directions; il voyait l'ordre et la Providence dans le conflit des choses, et sentait autour de lui la sagesse qu'il tâchait de mettre en lui-même. Il se confiait en Dieu, comme un être bon et juste qui se sent aux mains d'un être juste et bon; il vivait volontiers dans sa pensée et en sa pré

1. Par exemple, Halifax. 2. Défense du christianisme.

sence, et songeait à l'avenir inconnu qui doit achever la nature humaine et accomplir l'ordre moral. Quand vint la fin, il repassa sa vie et se trouva on ne sait quel tort envers Gay; ce tort était bien léger sans doute, puisque Gay ne le soupçonnait pas. Addison le pria de venir auprès de son lit, et lui demanda pardon. Au moment de mourir, il voulut encore être utile, et fit approcher lord Warwick, son beau-fils, dont la légèreté l'avait inquiété plus d'une fois. Il était si faible que d'abord il ne put parler. Le jeune homme, après avoir attendu un instant, lui dit : « Cher Monsieur, vous m'avez fait << demander; je crois, j'espère, que vous avez quel«ques commandements à me donner; je les tien«<drai pour sacrés. » Le mourant, avec un effort, lui serra la main et répondit doucement : « Voyez <«< dans quelle paix un chrétien peut mourir. » Un instant après, il expira.

III

<< La grande et l'unique fin de ces considérations, « dit Addison dans un numéro du Spectator, est de << bannir le vice et l'ignorance du territoire de la << Grande-Bretagne'. » Et il tient parole. Ses journaux sont tout moraux, conseils aux familles, ré

1. The great and only end of these speculations is to banish vice and ignorance out of the territories of Great Britain.

primandes aux femmes légères, portrait de l'honnête homme, remèdes contre les passions, réflexions sur Dieu, la religion, la vie future. Je ne sais pas, ou plutôt je sais très-bien, quel succès aurait en France une gazette de sermons. En Angleterre, il fut extraordinaire, égal à celui des plus heureux romanciers modernes. Dans le désastre de toutes les

Revues ruinées par l'impôt de la presse, le Spectator doubla son prix et resta debout. C'est qu'il offrait aux Anglais la peinture de la raison anglaise; le talent et la doctrine se trouvaient conformes aux besoins du siècle et du pays.

Essayons de décrire cette raison qui peu à peu s'est dégagée du puritanisme et de sa rigidité, de la Restauration et de son carnaval. En même temps que la religion et l'État, l'esprit atteint son équilibre. Il conçoit la règle, et discipline sa conduite; il s'écarte de la vie excessive et s'établit dans la vie sensée; il fuit la vie corporelle et prescrit la vie morale. Addison rejette avec dédain la grosse joie physique, le plaisir brutal du bruit et du mouvement'. «Est-il probable, » dit-il en parlant des

1. I would leave it to the consideration of those who are the patrons of this monstrous trial of skill, whether or no they are not guilty, in some measure, of an affront to their species, in treating after this manner the Human Face Divine.

(Spectator, no 173.)

Is it possible that human nature can rejoice in its disgrace, and take pleasure in seing its own figure turned to ridicule, and distorted into forms that raise horror and aversion? There is something disingenuous and immoral in the being able to bear such a sight. (Tatler, no 108.)

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