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côté de la couleur et de l'énergie. Nous croyons qu'il l'aurait perfectionnée, s'il eût vécu davantage. Au reste, son principal titre littéraire est sans contredit une autre traduction plus considérable, plus difficile, et dont nous allons parler à l'instant.

Tacite, que Racine appelle à si juste titre le plus grand peintre de l'antiquité, eût mérité d'avoir pour traducteurs des écrivains du premier ordre. Une traduction de Tacite est la seule qui eût été digne de Montesquieu. Un de ses égaux s'est mis sur les rangs, mais dans un essai trop peu étendu: J.-J. Rousseau a traduit ce magnifique premier livre de l'Histoire où Tacite peint à si grands traits la fin de l'empire de Galba, et les commencemens du court empire d'Othon. On ne lit guère cette traduction. Dans le vaste recueil de Rousseau, elle est comme étouffée par ses chefs-d'œuvre. Cependant, quoique imparfaite, elle ne doit pas être négligée; quelquefois tout son talent s'y retrouve. Sans y égaler Tacite, ni lui-même, il reste à une place où il n'est pas facile de l'atteindre; et, sinon pour la fidélité, du moins pour le choix des expressions et le tour des phrases, il est encore un objet d'étude. Il n'a pas été plus loin que ce premier livre. Un si rude jouteur m'a bientôt lassé, dit-il, avec la franchise et la verve de Montaigne. D'Alembert a choisi seulement quelques morceaux d'un grand éclat dans les différens

ouvrages de Tacite. Son choix est excellent; mais, il faut l'avouer, d'Alembert, malgré tout son mérite, a peu réussi dans sa traduction: même il y est constamment sec; précis, mais en géomètre et non pas en grand écrivain; d'ailleurs, souvent infidèle au texte, et plus souvent au génie de Tacite. Les six derniers livres des Annales et les cinq livres de l'Histoire ne font point partie du travail de La Bléterie, travail dont la vie d'Agricola est l'article le plus estimé. Ce chefd'oeuvre, où tant de choses tiennent si peu d'espace, a été de nouveau traduit, il y a douze ans, par M. des Renaudes, à qui l'on doit une portion d'éloges; car il écrit avec soin, même avec scrupule: mais nous craignons toutefois que son style n'ait pour l'ordinaire plus de recherche que de nerf et de coloris. Dotteville et Dureau de la Malle nous ont donné deux traductions complètes de Tacite : l'une est antérieure à notre époque; l'autre a paru pour la première fois, il y a dixhuit ans. Celle que nous devons à Dotteville offre beaucoup de choses estimables: une vie de Tacite, où l'érudition est embellie par une saine littérature; des abrégés supplémentaires, où l'auteur a eu le bon esprit de ne pas vouloir être brillant; les notes diversement instructives qui accompagnent la traduction; souvent cette traduction même retravaillée à chaque édition nouOEuvres posthumes. III.

II

velle, mais qui pourtant renferme encore trop de périphrases, trop d'équivalens substitués aux expressions du texte, comme s'il pouvait y avoir des équivalens avec Tacite! Dureau de la Malle, en son discours préliminaire, a clairement exposé, d'après un Mémoire de La Bléterie, quelles magistratures réunies formaient dans l'empire romain le pouvoir du prince. Il nous paraît moins heureux lorsqu'il veut prouver en forme que la cruauté des empereurs était un moyen de finance, et que la proscription des riches pouvait seule fournir à la magnificence impériale. Sans pousser trop loin la discussion, Titus fut aussi magnifique, ce sont les propes termes de Suétone, qu'aucun des empereurs qui l'avaient précédé : nous savons que Trajan le fut encore davantage; et cette réponse doit suffire. Éclaircissant le texte par des notes courtes et judicieuses; laissant, comme des vides inaccessibles, ces lacunes désespérantes que le génie même ne pourrait remplir, Dureau de la Malle, en qualité de traducteur, surpasse presque toujours La Bléterie, d'Alembert et Dotteville. Attentif à corriger sans cesse, comme on le voit par l'édition publiée depuis sa mort, il s'attache plus qu'aucun d'eux aux idées, aux images, aux expressions de son modèle. Et quel modèle eut jamais droit d'exiger une fidélité plus respectueuse! Soit que, d'une plume austère, il décrive

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les mœurs des Germains; soit qu'avec une pieuse éloquence, il transmette à la postérité la vie de son beau-père Agricola; soit qu'ouvrant l'ame de Tibère il y compte les déchiremens du crime, et les coups de fouet du remords; soit qu'il peigne le sénat, les chevaliers, tous les Romains se précipitant vers la servitude, esclaves même des délateurs, et accusant pour n'être point accusés, l'artificieux Séjan redouté d'un maître qu'il craint, les affranchis tout-puissans par leur bassesse, Pallas gouvernant l'imbécile Claude; Narcisse, l'exécrable Néron, les avides ministres de Galba se hâtant, sous un vieillard, de saisir une proie qui va bientôt leur échapper, les Romains combattant jusque dans Rome, afin qu'entre Othon et Vitellius la victoire nomme le plus coupable, en se déclarant pour lui; soit qu'il représente Germanicus vengeant la perte des légions d'Auguste, ou puni par le poison de ses triomphes et de l'amour du peuple, l'historien Cremutius Cordus forcé de mourir pour avoir loué Brutus et Cassius, et, suivant un très-juste usage, sa proscription doublant sa renommée, Britannicus, Octavie, Agrippine, victimes d'un tyran trois fois parricide, Sénèque se faisant ouvrir les veines, conjointement avec son épouse, les débats héroïques de Servilie et de son père Soranus, Thraséas, aux prises avec la mort, offrant une li

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bation de son sang à Jupiter libérateur, et pres crivant la vie comme un devoir à la mère de ses enfans, il est tour à tour, ou à la fois, énergique, sublime; variant ses récits autant que le permet la monotonie du despotisme, et toujours également admirable; imitant Thucydide et Salluste, mais surpassant ses modèles, comme il surpasse tous ses autres devanciers, et ne laissant à ses successeurs aucun espoir de l'atteindre. Étudiez l'ensemble de ses ouvrages: c'est le produit d'une vie entière, d'études prolongées, de méditations profondes. Examinez les détails : tout y ressent l'inspiration; tous les mots sont des traits de génie et les élans d'une grande âme. Incorruptible dispensateur et de la gloire et de la honte, il représente cette conscience du genre humain que, selon ses énergiques expressions, les tyrans croyaient étouffer au milieu des flammes, en faisant brûler publiquement les œuvres du talent resté libre, et les éloges de leurs victimes, dans ces mêmes places où le peuple romain s'assemblait sous la république. Son livre est un tribunal où sont jugés en dernier ressort les opprimés et les oppresseurs: c'est à l'immortalité qu'il les consacre ou les dévoue; et dans cet historien des peuples, par conséquent des princes qui savent régner, chaque ligne est le châtiment des crimes, ou la récompense des vertus. Affir

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