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INTRODUCTION.

<< L'historien pourrait se placer au sein de l'âme humaine, pendant un temps donné, une série de siècles, ou chez un peuple déterminé. Il pourrait étudier, décrire, raconter tous les événements, toutes les transformations, toutes les révolutions qui se seraient accomplies dans l'intérieur de l'homme; et quand il serait arrivé au bout, il aurait une histoire de la civilisation chez le peuple et dans le temps qu'il aurait choisi. »

(GUIZOT, Civilisation en Europe, page 25.)

L'histoire s'est transformée depuis cent ans en Allemagne, depuis soixante ans en France, et cela l'étude des littératures.

par

On a découvert qu'une œuvre littéraire n'est pas un simple jeu d'imagination, le caprice isolé d'une tête chaude, mais une copie des mœurs environnantes et le signe d'un état d'esprit. On en a conclu qu'on pouvait, d'après les monuments littéraires, retrouver la façon dont les hommes avaient senti et pensé il y a plusieurs siècles. On l'a essayé et on a réussi.

ser,

On a réfléchi sur ces façons de sentir et de pen

et on a jugé que c'étaient là des faits de premier ordre. On a vu qu'elles tenaient aux plus grands événements; qu'elles les expliquaient, qu'elles étaient expliquées par eux, que désormais il fallait leur donner une place, et l'une des plus hautes places, dans l'histoire. On la leur a donnée, et depuis ce temps on voit tout changer en histoire : l'objet, la méthode, les instruments, la conception des lois et des causes. C'est ce changement, tel qu'il se fait et doit se faire, qu'on va tacher d'exposer ici :

Les documents

historiques

ne

I

Lorsque vous tournez les grandes pages roides d'un

sont que des in- in-folio, les feuilles jaunies d'un manuscrit, bref

dices au moyen

desquels il faut un poëme, un code, un symbole de foi, quelle est votre première remarque? C'est qu'il ne s'est point

reconstruire l'individu visible.

fait tout seul. Il n'est qu'un moule, pareil à une coquille fossile, une empreinte, pareille à l'une de ces formes déposées dans la pierre par un animal qui a vécu et qui a péri. Sous la coquille, il y avait un animal, et sous le document il y avait un homme. Pourquoi étudiez-vous la coquille, sinon pour vous figurer l'animal? De la même façon vous n'étudiez le document qu'afin de connaître l'homme; la coquille et le document sont des débris morts, et ne valent que comme indices de l'être entier et vivant. C'est jusqu'à cet être qu'il faut arriver; c'est

lui qu'il faut tâcher de reconstruire. On se trompe lorsqu'on étudie le document, comme s'il était seul. C'est traiter les choses en simple érudit, et tomber dans une illusion de bibliothèque. Au fond il n'y a ni mythologie, ni langues, mais seulement des hommes qui arrangent des mots et des images d'après les besoins de leurs organes et la forme originelle de leur esprit. Un dogme n'est rien. par luimême; voyez les gens qui l'ont fait, tel portrait du seizième siècle, la roide et énergique figure d'un archevêque ou d'un martyr anglais. Rien n'existe que par l'individu; c'est l'individu lui-même qu'il faut connaître. Quand on a établi la filiation des dogmes, ou la classification des poëmes, ou le progrès des constitutions, ou la transformation des idiomes, on n'a fait que déblayer le terrain; la véritable histoire s'élève seulement quand l'historien commence à démêler à travers la distance des temps l'homme vivant, agissant, doué de passions, muni d'habitudes, avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct et complet comme celui que tout à l'heure nous avons quitté dans la rue. Tâchons donc de supprimer, autant que possible, ce grand intervalle de temps qui nous empêche d'observer l'homme avec nos yeux, avec les yeux de notre tête. Qu'y a-t-il sous les jolis feuillets satinés d'un poëme moderne? Un poëte moderne, c'est-à-dire un homme comme Alfred de Musset, Hugo, Lamartine ou Heine, ayant fait ses classes et voyagé, avec un habit noir et des gants, bien vu des

dames et faisant le soir cinquante saluts et une ving taine de bons mots dans le monde, lisant les journaux le matin, ordinairement logé dans un second étage, point trop gai parce qu'il a des nerfs, surtout parce que, dans cette épaisse démocratie où nous nous étouffons, le discrédit des dignités officielles a exagéré ses prétentions en rehaussant son importance, et que la finesse de ses sensations habituelles lui donne quelque envie de se croire Dieu. Voilà ce que nous apercevons sous des méditations ou des sonnets modernes. De même sous une tragédie du dix-septième siècle, il y a un poëte, un poëte comme Racine par exemple, élégant, mesuré, courtisan, beau diseur, avec une perruque majestueuse et des souliers à rubans, monarchique et chrétien de cœur,« ayant reçu de Dieu la grâce de ne rougir en aucune compagnie, ni du roi, ni de l'Évangile; » habile à amuser le prince, à lui traduire en beau français « le gaulois d'Amyot, fort respectueux envers les grands, et sachant toujours, auprès d'eux,« se tenir à sa place, >> empressé et réservé à Marly comme à Versailles, au milieu des agréments réguliers d'une nature policée et décorative, parmi les révérences, les grâces, les manéges et les finesses des seigneurs brodés qui sont levés matin pour mériter une survivance, et des dames charmantes qui comptent sur leurs doigts les généalogies afin d'obtenir un tabouret. Ladessus, consultez Saint-Simon et les estampes de Pérelle, comme tout à l'heure vous avez consulté

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