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II

De grands corps blancs, flegmatiques, avec des yeux bleus farouches, et des cheveux d'un blond rougeâtre; des estomacs voraces, repus de viande et de fromage, réchauffés par des liqueurs fortes; un tempérament froid, tardif pour l'amour, le goût du foyer domestique, le penchant à l'ivrognerie brutale ce sont là encore aujourd'hui les traits que l'hérédité et le climat maintiennent dans la race, et ce sont ceux que les historiens romains leur découvrent d'abord dans leur premier pays. On ne vit point, en ces contrées, sans une abondance de nourriture solide; le mauvais temps enferme les gens chez eux; il faut, pour les ranimer, des boissons fortes; les sens y sont obtus, les muscles résistants, les volontés énergiques. Par toutes ses racines corporelles l'homme en tout pays plonge dans la nature, et il y plonge d'autant davantage qu'étant plus inculte, il en est moins affranchi. Ceux-ci en Germanie, sous leurs tempêtes, dans leurs misérables bateaux de cuir, parmi les rigueurs et les périls de de la vie maritime, se trouvaient entre tous façonnés pour la résistance et l'entreprise, endurcis au mal

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1. Tacite, De moribus Germanorum, passim: Diem, noctemque continuare putando, nulli probrum. Sera juvenum Venus. Totos dies juxta focum atque ignem agunt. - Dargaud, Voyage en Danemark. Six repas par jour, le premier à 5 heures du matin. Voir les figures et les repas à Hambourg et à Amsterdam.

et contempteurs du danger. Pirates d'abord: de toutes les chasses, la chasse à l'homme est la plus profitable et la plus noble; ils laissaient le soin de la terre et des troupeaux aux femmes et aux esclaves; naviguer, combattre et piller', c'était là pour eux toute l'œuvre d'un homme libre. Ils se lançaient en mer sur leurs barques à deux voiles, abordaient au hasard, tuaient, et allaient recommencer plus loin, ayant égorgé en l'honneur de leurs dieux le dixième de leurs prisonniers, et laissant derrière eux la lueur rouge de l'incendie. « Seigneur, disait une litanie, délivrez-nous de la fureur des Jutes. » « De tous les barbares, ce sont les plus fermes de corps et de cœur, les plus redoutés, ajoutez les plus «< cruellement féroces. » Quand le meurtre est devenu un métier, il devient un plaisir. Vers le huitième siècle, la décomposition finale du grand cadavre romain, que Charlemagne avait tenté de relever et qui s'affaissait dans sa pourriture, les appela comme des vautours à la proie. Ceux qui étaient restés en Danemark avec leurs frères de Norvége, païens fanatiques, et acharnés contre les chrétiens, se lancèrent sur tous les rivages. Leurs rois de mer3, « qui n'avaient jamais dormi sous les poutres enfumées d'un toit, qui n'avaient jamais vidé la corne de bière auprès d'un foyer habité, » se riaient des

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1. Bède, V, 10. Sidoine, VIII, 6. Lingard, Histoire d'Angleterre. 2. Zosime, III, 147. Ammien Marcellin, XXVIII, 526. 3. Vikings. Aug. Thierry, Hist. sancti Edmundi, t. VI, 441 apud Surium. Voir l' Yglingasaga, et surtout la Saga d'Egill.

vents et des orages, et chantaient : « Le souffle de la tempête aide nos rameurs; le mugissement du ciel, les coups de la foudre ne nous nuisent pas ; l'ouragan est à notre service et nous jette où nous voulions aller.» « Nous avons frappé de nos épées, dit un chant attribué à Ragnar Lodbrog; c'était pour moi un plaisir égal à celui de tenir une belle fille à mes côtés!... Celui qui n'est jamais blessé mène une vie ennuyeuse. » Un d'entre eux, au monastère de Peterborough, tue de sa main tous les moines, au nombre de quatre-vingt-quatre; d'autres, ayant pris le roi Ella, lui coupent les côtes jusqu'aux reins, et lui arrachent les poumons par l'ouverture, de façon à figurer un aigle avec sa plaie. Harold Pied de Lièvre, ayant saisi son compétiteur Alfred avec six cents hommes, leur fit crever les yeux et couper les jarrets, ou scalper le crâne, ou dévider les entrailles. Supplices et carnages, besoin du danger, fureur de destruction, audaces obstinées et insensées du tempérament trop fort, déchaînement des instincts carnassiers, ce sont là les traits qui apparaissent à chaque pas dans les anciennes Sagas. La fille du Iarl danois, voyant Egill qui veut s'asseoir auprès d'elle, le repousse avec mépris, lui reprochant « d'avoir rarement fourni aux loups des mets chauds, de n'avoir pas vu dans tout l'automne le corbeau croassant audessus du carnage. » Mais Egill la saisit et l'apaise en chantant : « J'ai marché avec mon glaive sanglant, de sorte que le corbeau m'a suivi. Furieux, nous avons combattu, le feu planait sur la demeure des

hommes, et nous avons endormi dans le sang ceux qui veillaient aux portes de la ville. »> Par ces propos de table et ces goûts de jeune fille, jugez du reste1.

Les voici maintenant en Angleterre, plus sédentaires et plus riches: croyez-vous qu'ils soient beaucoup changés? Changés peut-être, mais en pis, comme les Francs, comme tous les barbares qui passent de l'action à la jouissance. Ils sont plus gloutons, ils dépècent leurs porcs, ils s'emplissent de viandes, ils avalent coup sur coup l'hydromel, la bière, le vin de mûres, le vin de pigment, toutes ces fortes et âpres boissons qu'ils ont pu ramasser, et se trouvent égayés et ranimés. Ajoutez-y le plaisir de se battre. Ce n'est pas avec de tels instincts qu'on atteint vite à la culture; pour la trouver naturelle et prompte, il faut aller la chercher dans les sobres et vives populations du Midi. Ici le tempérament lent et lourd reste longtemps enseveli dans la vie brutale; au premier aspect, nous autres, gens de race latine, nous ne voyons jamais chez eux que de grandes et grosses bêtes, maladroites et ridicules quand elles ne sont pas dangereuses et enragées.

1. Francs, Frisons, Saxons, Danois, Norvégiens, Islandais, sont un même peuple. La langue, les lois, la religion, la poésie diffèrent à peine. Ceux qui sont plus au nord restent plus tardivement dans les mœurs primitives. La Germanie aux quatrième et cinquième siècles, le Danemark et la Norvége au septième et au huitième, l'Islande aux dixième et onzième siècles, offrent le même état, et les documents de chaque pays peuvent combler les lacunes qu'il y a dans l'histoire des autres.

2. Tacite, De moribus Germanorum, 22: Gens nec astuta, nec callida.

Jusqu'au seizième siècle, le corps de la nation, dit un vieil historien, ne se composa guère que de pâtres, gardeurs de bêtes à viande et à laine; jusqu'à la fin du dix-huitième, l'ivrognerie fut le plaisir de la haute classe; il est encore celui de la basse, et tous les raffinements des délicatesses et de l'humanité moderne n'ont point aboli chez eux l'usage des verges et des coups de poing. Si le barbare carnivore, belliqueux, buveur, dur aux intempéries, apparaît encore sous la régularité de notre société et sous la douceur de notre politesse, imaginez ce qu'il devait être lorsque, débarqué avec sa bande sur un territoire dévasté ou désert et pour la première fois devenu sédentaire, il voyait à l'horizon les pâturages communs de la Marche, et la grande orêt primitive qui fournissait des cerfs à ses chasses et des glands à ses porcs! Ils étaient «< d'appétit grand et grossier', » disent les anciennes histoires. Encore au temps de la conquête2, « la coutume de boire excessivement était le vice commun des gens du haut rang, et ils y passaient, sans interruption, les jours et les nuits entières. » Henri de Huntington, au douzième siècle, regrettant l'antique hospitalité, dit que les rois normands ne fournissent à leurs courtisans qu'un repas par jour, tandis que les rois saxons en fournissaient quatre. Un jour qu'Athelstan visitait avec les nobles sa parente

1. Pictorial history of England, by Craig and Mac-Farlane, I, 337. W. de Malmsbury. Henri de Huntington, VI, 365. 2. Turner, History of the Anglo-Saxons, III, 29.

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