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quelques réflexions pieuses, un mouvement de pas. sion, rien de plus. Au dixième siècle, on voit le roi Edgard donner un manoir à un évêque, à condition qu'il mettra en saxon la règle monastique écrite en latin par saint Benoît. Alfred lui-même est presque le dernier des hommes cultivés; il ne l'est devenu, comme Charlemagne, qu'à force de volonté et de patience. En vain les grands esprits de ce temps essayent de s'accrocher aux débris de la belle civilisation antique, et de se soulever au-dessus de la tumultueuse et fangeuse ignorance où les autres clapotent; ils se soulèvent presque seuls, et, eux morts, les autres se renfoncent dans leur bourbe. C'est la bête humaine alors qui est maîtresse; l'esprit ne peut trouver sa place parmi les révoltes et les appétits du sang, de l'estomac et des muscles. Même dans le petit cercle où il travaille, son labeur n'aboutit pas. Le modèle qu'il s'est proposé l'opprime et l'enchaîne dans une imitation qui le rétrécit; il n'aspire qu'à bien copier; il fait des assemblages de centons qu'il appelle vers latins; il s'étudie à retrouver les tournures vérifiées des bons modèles; il n'arrive qu'à fabriquer un latin emphatique, gâté, hérissé de disparates. En fait d'idées, les plus profonds récrivent les doctrines mortes d'auteurs morts. Ils font des manuels de théologie et de philosophie d'après les Pères; Érigène, le plus docte, va jusqu'à reproduire les vieilles rêveries compliquées de la métaphysique alexandrine. A quelle distance ces spéculations et ces réminiscences

planent-elles au-dessus de la grande foule barbare qui hurle et s'agite dans les bas-fonds, nulle parole ne peut le dire. Il y a tel roi de Kent, au septième siècle, qui ne sait pas écrire. Figurez-vous des bacheliers en théologie qui disserteraient devant un auditoire de charretiers, non pas de charretiers parisiens, mais de charretiers tels qu'il y en a encore aujourd'hui en Auvergne ou dans les Vosges. Seul parmi ces clercs qui pensent en écoliers studieux d'après leurs chers auteurs, et sont doublement séparés du monde à titre d'hommes de collége et à titre d'hommes de couvent, Alfred, à titre de laïque et d'esprit pratique, descend par ses traductions en langue saxonne, par ses vers saxons, à la portée de son public; et l'on a vu que son effort, comme celui de Charlemagne, s'est trouvé vain, Il y avait un mur infranchissable entre la savante littérature ancienne et l'informe barbarie présente. Incapables d'entrer dans l'ancien moule, et obligés d'entrer dans l'ancien moule, ils le tordaient. Faute de pouvoir refaire les idées, ils refaisaient le mètre. Ils tâchaient d'éblouir leurs collègues en versification par le raffinement de la facture et le prestige de la difficulté vaincue, Pareillement, dans nos colléges, les bons élèves imitent les coupes savantes et la symétrie de Claudien plutôt que l'aisance et la variété de Virgile. Ils se mettaient des fers aux pieds, et prouvaient leur force en courant avec leurs entraves. Ils s'imposaient les règles de la rime moderne avec les règles de la quantité antique. Ils y ajou

taient l'obligation de commencer chaque vers par la même lettre que le précédent. Quelques-uns, comme Adlhem, écrivaient des acrostiches carrés, où le premier vers, répété à la fin, se retrouvait encore sur la gauche et sur la droite du morceau. Ainsi formé par les premières et par les dernières lettres de tous les vers, il embrasse toute la pièce, et le morceau de poésie ressemble à un morceau de tapisserie. Étranges tours de force littéraires, qui transforment les poëtes en artisans ; ils témoignent de la contrariété qui opposait alors la culture et la nature et gâtait à la fois la forme latine et l'esprit

saxon.

Par delà cette barrière, qui séparait invinciblement la civilisation de la barbarie, il y en avait une autre non moins forte qui séparait le génie saxon du génie latin. La puissante imagination germanique, où les visions éclatantes et obscures affluenț subitement et débordent par saccades, faisait contraste avec l'esprit raisonneur dont les idées ne se rangent et ne se développent qu'en files régulières, en sorte que si le barbare, dans ses essais classiques, gardait quelque portion de ses instincts primitifs, il ne parvenait qu'à produire une sorte de monstre grotesque et affreux. Un d'entre eux, cet Adlhem, parent du roi Ina, qui, sur le pont de la ville chantait à la fois des ballades profanes et des hymnes sacrées, trop imbu de la poésie nationale pour imiter simplement les modèles antiques, décora les vers latins et la prose latine de toute « la

pompe anglaise1. » Vous diriez d'un barbare qui
arrache une flûte aux mains exercées d'un artiste
du palais d'Auguste, pour y souffler à pleine poi-
trine comme dans une trompe mugissante d'uroch.
La langue sobre des orateurs et des administrateurs
romains se charge, sous sa main, d'images exces-
sives et incohérentes. Il accouple violemment les
mots par
des alliances imprévues et extravagantes;
il entasse les couleurs; il atteint le galimatias extra-
ordinaire et inintelligible des derniers scaldes. En
effet, c'est un scalde qui latinise, et transporte dans
son nouveau langage les ornements de la poésie
scandinave, entre autres la répétition de la même
lettre, tellement que, dans une de ses épîtres, il y
a quinze mots de suite qui commencent de même,
et que, pour compléter ce nombre de quinze, il met
un barbarisme grec parmi les mots latins. Maintes
fois, chez les autres, chez les légendaires, on retrou-
vera cette déformation du latin violenté par l'afflux
de l'imagination trop forte. Celle-ci éclate jusque
dans leur pédagogie et leur science. Alcuin, dans
les dialogues qu'il compose pour le fils de Charle-
magne, emploie en manière de formules les petites
phrases poétiques et hardies qui pullulent dans la
poésie nationale. « Qu'est-ce que l'hiver? L'exil de

1. Mot de Guillaume de Malmesbury.

2. Primitus (pantorum procerum prætorumque pio potissimum paternoque præsertim privilegio) panegyricum poemataque passim prosatori sub polo promulgantes, stridula vocum symphonia ac melodiæ cantilenæque carmine modulaturi hymnizemus.

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l'été.

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de la terre.

du monde.

Qu'est-ce que le printemps? Le peintre
Qu'est-ce que l'année? Le quadrige
Qu'est-ce que le soleil ? La splendeur

de l'univers, la beauté du firmament, la grâce de la nature, la gloire du jour, le distributeur des heures.

Qu'est-ce que la mer? Le chemin des audacieux, la frontière de la terre, l'hôtellerie des fleuves, la source des pluies. >> Bien plus, il achève ses instructions par des énigmes dans le goût des scaldes, comme on en trouve encore dans les vieux manuscrits avec les chants barbares. Dernier trait du génie national, qui, lorsqu'il travaille à comprendre les choses, laisse de côté la déduction sèche, nette, suivie, pour employer l'image bizarre, lointaine, multipliée, et remplace l'analyse par l'intuition.

VIII

Telle est cette race, la dernière venue, qui, dans la décadence de ses sœurs, la grecque et la latine, apporte dans le monde une civilisation nouvelle avec un caractère et un esprit nouveau. Inférieure en plusieurs endroits à ses devancières, elle les surpasse en plusieurs autres. Parmi ses bois, ses boues et ses neiges, sous son ciel inclément et triste, dans sa longue barbarie, les instincts rudes ont pris l'empire; le Germain n'a point acquis l'humeur joyeuse, la facilité expansive, le sentiment de la beauté harmonieuse; son grand corps flegmatique

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