Графични страници
PDF файл
ePub

tôt qu'elles sont prouvées. Ils écartent ces spéculations dissolvantes; ils les regardent comme des occupations d'oisifs; ils ne cherchent dans le raisonnement que des motifs et des moyens de se bien conduire. Ils ne l'aiment pas pour lui-même, ils le répriment dès qu'il veut être indépendant; ils exigent que la raison soit chrétienne et protestante, ils la démentiraient sous une autre forme; ils la réduisent à l'humble rôle de servante, et lui donnent pour souverain leur sens intime biblique et utilitaire. En vain, au commencement du siècle, les libres penseurs s'élèvent; quarante ans plus tard', ils sont noyés dans l'oubli. Le déisme et l'athéisme ne sont ici qu'une éruption passagère que le mauvais air du grand monde et le trop-plein des forces natives développent à la surface du corps social. Les professeurs d'irréligion, Toland, Tindal, Mandeville, Bolingbroke, rencontrent des adversaires plus forts qu'eux. Les chefs de la philosophie expérimentale', les plus doctes et les plus accrédités entre les érudits du siècle, les écrivains les plus spirituels, les plus aimés et les plus habiles', toute l'autorité de la science et du génie s'emploie à les abattre. Les réfutations surabondent. Chaque année, selon la fondation de Robert Boyle, des hommes célèbres par leur talent ou leur savoir viennent prêcher à Londres

1. Burke, 133, Réflexions sur la Révolution française.

2. Ray, Boyle, Barrow, Newton.

3. Bentley, Clarke, Warburton, Berkeley.

4. Locke, Addison, Swift, Johnson, Richardson.

huit sermons << pour établir la religion chrétienne << contre les athées, les théistes, les païens, les maho« métans et les juifs. » Et ces apologies sont solides, capables de convaincre un esprit libéral, infaillibles pour convaincre un esprit moral. Les ecclésiastiques qui les écrivent, Clarke, Bentley, Law, Watt, Warburton, Butler, sont au niveau de la science et de l'intelligence laïques. Par surcroît les laïques les aident. Addison compose la Défense du Christianisme, Locke la Conformité du Christianisme et de la Raison, Ray la Sagesse de Dieu manifestée dans les œuvres de la création. Par-dessus ce concert de voix graves perce une voix stridente: Swift, de sa terrible ironie, complimente les coquins élégants qui ont eu la salutaire idée d'abolir le christianisme. Quand ils seraient dix fois plus nombreux, ils n'en viendraient pas à bout; car ils n'ont pas de doctrine qu'ils puissent mettre à sa place. La haute spéculation, qui seule peut en tenir lieu, s'est montrée ou déclarée impuissante. De toutes parts les concep tions philosophiques avortent ou languissent. Si Berkeley en rencontre une, la suppression de la matière, c'est isolément, sans portée publique, par un coup d'État théologique, en homme pieux qui veut ruiner par la base l'immoralité et le matérialisme. Newton atteint tout au plus une idée manquée de l'espace, il n'est que mathématicien. Locke, presque aussi pauvre', tâtonne, hésite, n'a guère que

[merged small][ocr errors]

des conjectures, des doutes, des commencements d'opinion que tour à tour il avance et retire, sans en voir les suites lointaines, et surtout sans rien pousser à bout. En somme, il s'interdit les hautes questions et se trouve fort porté à nous les interdire. Il a fait son livre pour savoir « quels objets << sont à notre portée ou au-dessus de notre com<< préhension. » Ce sont nos limites qu'il cherche ;il les rencontre vite et ne s'en afflige guère. Enfermons-nous dans notre petit domaine et travaillons-y diligemment. « Notre affaire en ce monde n'est pas << de connaître toutes choses, mais celles qui re<< gardent la conduite de notre vie. » Si Hume, plus hardi, va plus loin, c'est sur la même route; il ne conserve rien de la haute science; c'est la spéculation entière qu'il abolit; à son avis, nous ne connaissons ni substances, ni causes, ni lois; quand nous affirmons qu'un fait est attaché à un fait, c'est gratuitement, sans preuve valable, par la force de la coutume; « les événements semblent être par <«< nature isolés et séparés1; » si nous leur attribuons un lien, c'est notre imagination qui le fabrique; il n'y a de vrai que le doute; encore faut-il en douter;

1. After the constant conjunction of two objects, heat and flame for instance, weight and solidity, we are determined by custom alone to expect the one from the appearance of the other. All inferences from experience are effects of custom not of reasoning... Upon, the whole, there appears not, throughout all nature, any one instance of connexion which is conceivable by All events seem entirely loose and separate; one event follows another; but we can never observe any tie between them. They seem conjoined, but never connected.

us.

la conclusion est que nous ferons bien de purger notre esprit de toute théorie et de ne croire que pour agir. Examinons nos ailes, mais pour les couper, et bornons-nous à marcher avec nos jambes. Un pyrrhonisme aussi achevé n'est bon qu'à rejeter le public vers les croyances établies. En effet, l'honnête Reid s’alarme; il voit la société qui se dissout, Dieu qui disparaît en fumée, la famille qui s'évapore en hypothèses; il réclame en père de famille, en bon citoyen, en homme religieux, et institue le sens commun comme souverain juge de la vérité. Rarement, je crois, dans ce monde la spéculation est tombée plus bas. Reid n'entend même pas les systèmes qu'il discute; il lève les bras au ciel quand il essaye d'exposer Aristote et Leibnitz. Si quelque corps municipal commandait un système, ce serait cette philosophie de marguilliers. Au fond, les gens de ce pays ne se soucient pas de la métaphysique; pour les intéresser, il faut qu'elle se réduise à la psychologie. A ce titre, elle est une science d'observation, positive et utile comme la botanique; encore les meilleurs fruits qu'ils en retirent, c'est la théorie des sentiments moraux. C'est dans ce domaine que Shaftesbury, Hutcheson, Price, Smith, Ferguson et Hume lui-même travaillent de préférence; c'est là qu'ils ont trouvé leurs idées les plus originales et les plus durables. Sur ce point l'instinct public est si fort qu'il enrôle les plus indépendants à son service, et ne leur permet de découvertes que

celles qui tournent à son profit. Sauf deux ou trois,

[ocr errors]

littérateurs par excellence, et qui d'esprit sont français ou francisés, ils ne se préoccupent que de morale. C'est cette pensée qui rallie autour du christianisme toutes les forces que Voltaire tourne contre lui en France. Ils le défendent tous au même titre comme lien de la société civile et comme appui de la vertu privée. Jadis l'instinct le soutenait; à présent l'opinion le consacre, et c'est la même force secrète qui, par un travail insensible, ajoute maintenant l'autorité de l'opinion à la pression de l'instinct. C'est le sens moral qui, après lui avoir gardé la fidélité des basses classes, lui a conquis l'assentiment des hautes intelligences. C'est le sens moral qui de la conscience publique le fait passer dans le monde littéraire, et de populaire le rend officiel.

V

A regarder de loin la constitution anglaise, on ne se douterait guère de cette inclination publique; à regarder de près la constitution, on l'aperçoit d'abord. Elle semble un amas de priviléges, c'està-dire d'injustices consacrées; la vérité est qu'elle est un corps de contrats, c'est-à-dire de droits reconnus. Chacun a le sien, petit ou grand, qu'il défend de toute sa force. Ma terre, mon bien, mon droit garanti par ma charte, quel qu'il soit, suranné, indirect, inutile, privé, public, personne n'y touchera, ni roi, ni lords, ni communes; il s'agit d'un

« ПредишнаНапред »