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beauté poétique par delà les règles, la vérité critique par delà les mythes. Ils veulent saisir les puissances naturelles et morales en elles-mêmes, indépendamment des supports fictifs auxquels leurs devanciers les attachaient. Tous ces supports, âmes et atomes, toutes ces fictions, fluides et monades, toutes ces conventions, règles du beau et symboles religieux, toutes les classifications rigides des choses naturelles, humaines et divines, s'effacent et s'évanouissent. Désormais elles ne sont plus que des figures; on ne les garde qu'à titre d'aide mémoire et d'auxiliaires de l'esprit; elles ne sont bonnes que provisoirement et pour aller plus loin. D'un mouvement commun sur toute la ligne de la pensée humaine, les causes reculent jusque dans une région abstraite où la philosophie n'était point allée les chercher depuis dix-huit cents ans. Alors paraît la maladie du siècle, l'inquiétude de Werther et de Faust, toute semblable à celle qui, dans un moment semblable, agita les hommes il y a dix-huit siècles je veux dire le mécontentement du présent, le vague désir d'une beauté supérieure et d'un bonheur idéal, la douloureuse aspiration vers l'infini. L'homme souffre de douter, et cependant il doute; il essaye de ressaisir ses croyances, elles se fondent dans sa main; il voudrait s'asseoir et se reposer dans les doctrines et dans les satisfactions qui suffisaient à ses devanciers, il ne les trouve pas suffisantes. Il se répand, comme Faust, en recherches anxieuses à travers les sciences et l'histoire, et les juge vaines, douteuses,

bonnes pour des Wagner, pour des pédants d'académie ou de bibliothèque. C'est l'au delà qu'il souhaite; il le pressent à travers les formules des sciences, à travers les textes et les confessions des Églises, à travers les divertissements du monde et les éblouissements de l'amour. Il y a une vérité sublime derrière l'expérience grossière et les catéchismes transmis; il y a un bonheur grandiose par delà les agréments de la société et les contentements de la famille. Sceptiques, résignés ou mystiques, ils l'ont tous entrevu ou imaginé, depuis Goethe jusqu'à Beethoven, depuis Schiller jusqu'à Heine; ils y sont montés pour remuer à pleines mains l'essaim de leurs grands rêves; ils ne se sont point consolés d'en tomber, ils y ont pensé du plus profond de leurs chutes; ils ont habité d'instinct, comme leurs devanciers alexandrins et chrétiens, ce magnifique monde invisible où dorment dans une paix idéale les essences et les puissances créatrices, et «< la véhémente aspiration de leur cœur a attiré << hors de leur sphère ces esprits élémentaires, créa«<tures de flamme, qui, mêlés aux choses dans les <«< flots de la vie, dans la tempête de l'action, tra<< vaillent sur le métier bruissant de la durée et << tissent la robe vivante de la Divinité1. >>

Ainsi s'élève l'homme moderne, agité de deux sentiments, l'un démocratique, l'autre philosophique. Des bas-fonds de sa pauvreté et de son

1. Faust, scène première.

ignorance, il s'élève avec effort, soulevant le poids de la société établie et des dogmes admis, enclin à les réformer ou disposé à les détruire, et tout à la fois généreux et révolté. Ce sont ces deux courants qui de France et d'Allemagne arrivent en ce moment sur l'Angleterre. Les digues y sont fortes, ils ont peine à s'y frayer leur voie, ils entrent plus tardivement qu'ailleurs, mais néanmoins ils entrent. Ils se font un lit nouveau entre les barrières anciennes et les élargissent sans les rompre, par une transformation pacifique et lente qui continue encore aujourd'hui.

I

C'est chez un paysan d'Écosse, Robert Burns, qu'éclate pour la première fois l'esprit nouveau; en effet, l'homme et les circonstances sont convenables; on n'a guère vu ensemble plus de misère et de talent. Il naquit en janvier 1759 parmi les frimas d'un hiver écossais, dans une chaumière de glaise bâtie des mains de son père, pauvre fermier du comté d'Ayr triste condition, triste pays, triste chaumière. Le pignon s'effondra quelques jours après sa naissance, et sa mère, au milieu de l'orage, fut obligée de chercher un abri avec lui chez un voisin. Il est dur de naître en cette contrée; le ciel est si froid qu'au mois de juillet, à Glasgow, par un beau soleil, je n'avais pas trop de mon manteau. La terre est mauvaise; ce sont des collines nues où

souvent la récolte manque. Le père de Burns, déjà âgé, n'ayant guère que ses bras pour toute ressource, ayant loué sa ferme trop cher, chargé de sept enfants, vivait d'épargne, ou plutôt de jeûne, solitairement, pour éviter les tentations de dépense. << Pendant plusieurs années, la viande de boucher « fut dans la maison une chose inconnue. >> Robert allait pieds nus et tête nue : à treize ans, il battait en grange; à quinze ans, «< il était le principal la«<boureur de la ferme. » La famille faisait tous les ouvrages; point de domestique ni de servante. On ne mangeait guère et on travaillait trop. « Jusqu'à << seize ans, dit Burns, la tristesse morne d'un er<< mite avec le labeur incessant d'un galérien, voilà «< ma vie1. » Ses épaules se voûtèrent, la mélancolie arriva; presque tous les soirs, sa tête était douloureuse et lourde; plus tard les palpitations vinrent, et la nuit, dans son lit, il suffoquait et manquait de s'évanouir. « L'angoisse d'esprit que nous ressen

tions, dit son frère, était très-grande. » Le père vieillissait; sa tête grise, son front soucieux, ses tempes amaigries, sa grande taille courbée, témoignaient des chagrins et du travail qui l'avaient usé. L'homme d'affaires écrivait des lettres insolentes et menaçantes «< qui mettaient toute la famille en << larmes. » Il y eut un répit quand le père changea de ferme; mais un procès s'éleva entre lui et le pro

1. This kind of life the cheerless gloom of a hermit, with the unceasing moil of a galley-slave brought me to my sixteenth year.

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priétaire. Enfin, « ayant été ballotté et roulé trois << ans, dit Burns avec sa verve amère, dans le tour<< billon de la procédure, il fut sauvé tout juste des « horreurs de la prison par une maladie de poitrine qui, après deux ans de promesses, eut l'obligeance << d'intervenir1. » Afin d'arracher quelque chose aux griffes des gens de loi, les deux fils et les deux filles aînés furent obligés de se porter comme créanciers de la succession pour l'arriéré de leurs gages. Avec ce petit pécule, ils prirent à loyer une autre ferme. Robert eut sept livres sterling par an pour son travail pendant plusieurs années, sa dépense entière n'excéda point cette maigre pitance; il était décidé à réussir à force d'abstinence et de peine. « Je lus des livres de culture. Je calculai les récoltes, je fus exact aux marchés; mais la pre«mière année la mauvaise qualité de la semence, et « la seconde année la moisson tardive, nous firent

perdre la moitié de notre récolte'. » Les malheurs arrivaient par troupe; la pauvreté ne manque jamais de les engendrer. Le forgeron Armour, dont la fille était sa maîtresse, le poursuivait en justice pour lui extorquer de l'argent et refusait de l'accepter pour gendre. Jeanne Armour l'abandonnait ; il ne

1. After three years' tossing and whirling in the vortex of litigation, my father was just saved from the horrors of a goal by a consumption, which after two years' promises kindly stepped in.

2. I read farming books, I calculated crops; I attended markets, but the first year, from unfortunately buying bad seed, the second, from a late harvest, we lost our crops.

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