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grands, et les condamne à l'impuissance quand ils veulent l'appliquer hors de son domaine. La possession de ce style est si universelle, qu'elle se rencontre dans les plus médiocres, et les élève jusqu'au talent quand ils l'appliquent dans son domaine1. C'est lui qui porte à la perfection la prose, le discours, l'essai, la dissertation, la narration, et toutes les œuvres qui font partie de la conversation et de l'éloquence. C'est lui qui détruit l'ancien drame, abaisse le nouveau, appauvrit et détourne la poésie, produit l'histoire correcte, agréable, sensée, décolorée et à courtes vues. C'est cet esprit, qui, commun à ce moment à l'Angleterre et à la France, imprime son image dans la diversité infinie des œuvres littéraires, en sorte que dans son ascendant partout visible on ne peut s'empêcher de reconnaître la présence d'une de ces forces intérieures qui ploient et règlent le cours du génie humain.

Il n'y a point de genre où il se montre plus manifestement que dans la poésie et il n'y a point de moment où il apparaisse plus nettement que sous la reine Anne. Les poëtes viennent d'atteindre l'art qu'ils avaient entrevu. Depuis soixante ans, ils s'en approchaient; à présent ils le tiennent, ils le manient, déjà ils l'usent et l'exagèrent. Le style se trouve du même coup achevé et artificiel. Ouvrez le premier venu : Parnell ou Philips, Addison ou Prior, Gay ou

1. Une femme de chambre sous Louis XIV, dit Courier, écrivait mieux que le plus grand écrivain d'aujourd'hui.

Tickell, vous trouvez un certain tour d'esprit, de versification, de langage. Passez au second, ce même tour reparaît; on dirait qu'ils se sont copiés l'un l'autre. Parcourez un troisième : même diction, mêmes apostrophes, même façon de poser l'épithète et d'arrondir la période. Feuilletez toute la troupe; avec de petites différences personnelles, ils semblent tous coulés dans un seul moule : l'un est plus épicurien, l'autre plus moral, l'autre plus mordant; mais partout règne le langage noble, la pompe oratoire, la correction classique; le substantif marche accompagné de l'adjectif, son chevalier d'honneur; l'antithèse équilibre son architecture symétrique; le verbe, comme chez Lucain ou Stace, s'étale, flanqué de chaque côté par un nom garni de son épithète; on dirait que le vers a été fabriqué à la machine, tant la facture en est uniforme; on oublie ce qu'il veut dire; on est tenté d'en compter les pieds sur ses doigts; on sait d'avance quels ornements poétiques vont le décorer. Il a une toilette de théâtre, oppositions, allusions, élégances mythologiques, réminiscences grecques ou latines; il a une solidité d'école, maximes sentencieuses, lieux communs philosophiques, développements moraux, exactitude oratoire. Vous croiriez être devant une famille naturelle de plantes; si la grandeur, la couleur, les accessoires, les noms diffèrent, au fond le type ne varie pas; les étamines sont en nombre pareil, insérées de même, autour de pistils semblables, au-dessus de feuilles ordonnées sur le même plan;

qui connaît l'une connaît les autres; il y a un organe et une structure commune qui entraîne la communauté du reste. Si vous parcourez toute la famille, vous y trouverez sans doute quelque plante marquante qui manifeste le type en pleine lumière, tandis qu'à l'entour et par degrés il va s'altérant, dégénère et finit par se perdre dans les familles environnantes. Pareillement, ici, on voit l'art classique rencontrer son centre dans les voisins de Pope et surtout dans Pope, puis s'effacer à demi, se mêler d'éléments étrangers, jusqu'au moment où il disparaît dans la poésie qui l'a suivi.

I

En 1688, chez un marchand de toile rue des Lombards à Londres, naquit une petite créature délicate et maladive, factice par nature, toute fabriquée d'avance pour la vie de cabinet, n'ayant de goût que pour les livres, et qui, dès son bas âge, mit tout son plaisir dans la contemplation des imprimés. Il en copiait les lettres, et ainsi apprit à écrire. Il passa son enfance avec eux en tête-à-tête, et se trouva versificateur dès qu'il sut parler. A douze ans, il avait composé une tragédie d'après l'Iliade, et une ode sur la solitude. De treize à quinze, il fit un grand poëme épique de quatre mille vers, appelé Alcandre. Pendant huit ans, enfermé dans une petite maison de la forêt de Windsor, il lut « tous les meilleurs critiques, << presque tous les poëtes anglais, latins, français

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qui ont un nom, Homère, les poëtes grecs, et quel<< ques-uns des grands dans l'original, le Tasse et << l'Arioste dans les traductions, » avec tant d'assiduité qu'il en manqua mourir. Ce n'étaient point des passions qu'il y cherchait, c'était du style; il n'y a point eu d'adorateur plus dévoué de la forme, il n'y a point eu de maître plus précoce de la forme. Déjà son goût perçait : entre tous les poëtes anglais, son favori était Dryden, le moins inspiré et le plus classique. Il apercevait sa voie; un connaisseur, M. Walsh', « l'encourageait en lui disant qu'il y << avait encore un chemin ouvert pour exceller; car << si les Anglais avaient plusieurs grands poëtes, ils << n'avaient jamais eu de grand poëte qui fût cor<«<rect; et il l'engageait à faire de la correction son « étude et son but. » Il suivait ce conseil, s'exerçait la main par des traductions d'Ovide et de Stace, et par des remaniements du vieux Chaucer. Il s'appropriait toutes les excellences et toutes les élégances poétiques, il les emmagasinait dans sa mémoire; il disposait dans sa tête le dictionnaire complet de toutes les épithètes heureuses, de tous les tours ingénieux, de tous les rhythmes sonores par lesquels on peut relever, préciser, éclairer une idée. Il était comme ces petits musiciens, enfants prodiges, qui, élevés au piano, atteignent tout d'un coup un doigté

1. Mr Walsh used to encourage me much, and used to tell me, that there was one left way of excelling for though we had several great poets, we never had any one great poet that was correct; and desired me to make that my study and my aim.

merveilleux, roulent les gammes, perlent les trilles, font voltiger les octaves avec une agilité et une justesse qui chassent de la scène les plus fameux artistes. A dix-sept ans, ayant connu le vieux Wycherley, qui en avait soixante-dix, il entreprit, sur sa demande, de lui corriger ses poëmes, et les corrigea si bien, que celui-ci en fut charmé et mortifié. Il raturait, ajoutait, refondait, parlait franc et tranchait ferme. L'auteur, à contre-cœur, admirait les corrections tout bas, et tâchait tout haut d'en rabaisser l'importance, jusqu'à ce qu'enfin sa vanité, blessée de tant devoir à un si jeune homme et de rencontrer un maître dans un écolier, finit par le retirer d'un commerce où il profitait et souffrait trop. C'est que l'écolier, du premier coup, avait porté l'art plus loin que les maîtres. A seize ans, ses Pastorales témoignaient d'une sûreté de main que personne n'avait, pas même Dryden. A voir ces mots si choisis, ces arrangements exquis de syllabes mélodieuses, cette science des coupes et des rejets, ce style si coulant, si pur, ces gracieuses images que la diction rendait encore plus gracieuses, et toute cette guirlande artificielle et nuancée de fleurs qui se disaient champêtres, on pensait aux premières églogues de Virgile. M. Walsh déclarait que « ce n'était point flatterie « de dire qu'à cet âge Virgile n'avait rien fait d'aussi « bon. » Quand plus tard elles parurent en volume 1, le public fut ébloui. « Vous avez déplu aux critiques,

1. 1709.

« ПредишнаНапред »